Patriarche Youssef

Noël 2014

17 12 2014
 
 
 
Lettre de Sa Béatitude Gregorios III,
Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient,
d’Alexandrie et de Jérusalem,
pour la fête de Noël
(25 décembre 2014)
 
       De Gregorios III, serviteur de Jésus-Christ, par la grâce de Dieu Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem,
       À nos Frères les Hiérarques, membres de notre Saint-Synode, et  tous nos enfants dans le Christ-Jésus, clergé et fidèles, appelés à être saints avec “tous ceux qui, en quelque lieu que ce soit, invoquent le Nom de Jésus-Christ, notre Seigneur, le leur et le nôtre; à vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus-Christ” (1 Corinthiens 1, 2-3).
 
 
       “Maintenant, ô Maître souverain, Tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en  aller en paix” (Luc 2, 29).
 
L’Incarnation est Rencontre
 
       “Car mes yeux ont vu ton Salut, que Tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les païens” (Luc 2, 30-31).
       C’est ainsi que s’exclame le vénérable vieillard Siméon, quand il reçoit dans ses bras le Seigneur de l’univers.
       C’est la clôture des fêtes et des événements en relation avec la Nativité du Christ. Elle est appelée Entrée de Notre Seigneur Jésus-Christ au Temple. En grec, elle est appelée Hypapante, qui veut dire “rencontre”. C’est en premier lieu la rencontre entre Dieu et l’homme.
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Fête de la Rencontre
 
       De plus, dans cette fête, c’est la rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Testaments. C’est la rencontre entre l’enfance, la jeunesse et la vieillesse, en la personne du vieillard Siméon, et en celle d’Anne, avancée en âge. C’est aussi la rencontre entre la Loi de l’Ancien Testament et la grâce, en la personne de Jésus.
       C'est ce que dit l’Apôtre Saint Jean au début de son Evangile: “La Loi a été donnée par Moïse, mais la Grâce et la Vérité sont venues par Jésus-Christ” (Jean 1, 17).
       Le terme “rencontre” se répète aujourd’hui plus que jamais. Des rencontres sont organisées à tous les niveaux. Malheureusement, elles n’apportent pas toujours le bien que l’on en attend. C’est à cause du fait que Dieu est étranger à ces rencontres. Cependant, Dieu ne cesse pas d’aller à la rencontre de l’homme, pour emplir sa vie de bien, de bénédictions et de bonheur. C’est justement le sens des fêtes de Noël, dont cette fête de la Présentation de Jésus au Temple marque la clôture.
       Notre première rencontre avec Dieu fut quand nos parents nous ont présenté à l’église, comme ce fut le cas de Jésus au Temple. Plus tard, nous avons rencontré Jésus lors de notre saint Baptême. Nous Le rencontrons souvent dans les autres sacrements saints, surtout dans les sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, et aussi dans la prière et dans la vie de la grâce. Et encore à travers notre vocation de chrétien, dans le service du prochain.
       La rencontre de Dieu avec nous et son entrée dans notre vie remplissent notre cœur et donnent à notre vie toutes ses dimensions existentielles. C’est ce que nous chantons dans l’Ikos 14 de l’hymne  Acathiste: “Ayant vu une naissance étrange,  soyons étrangers au monde et élevons nos cœurs et nos esprits vers le ciel. Car Dieu a voulu justement apparaître pour nous sur cette terre comme un homme humble, car Il a voulu attirer vers le haut ceux qui l’acclament en chantant: Alleluia!”
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       C’est ce que chantent les prières de l’office de cette fête, si riches dans les figures et les comparaisons entre la rencontre de Siméon avec Jésus, et les différentes apparitions et rencontres dans l’Ancien Testament.
 
Le désir de Dieu
 
      C’est le désir de Jéus qui a porté Siméon au Temple, un profond désir latent dans son cœur. Il y a une légende intéressante autour de cette rencontre entre Siméon et Jésus, représentée dans les icônes du couvent qui porte le nom du vieillard Siméon, date du onzième siècle et est situé à Jérusalem sur la colline appelée Colline de Siméon.
       Ces icônes racontent, en couleurs, ce que je considère comme l’histoire de la démarche de foi du vieillard Siméon, ou la voie de l’Evangile. Voici l’histoire.
       Lorsque les Juifs se sont dispersés dans le monde entier après l’exil à Babylone, la langue grecque s’est répandue parmi eux. Ils ont alors senti le besoin de traduire la Bible en grec. Cette traduction est appelée celle des Septante, et c’est elle qui est utilisée, dans l’Eglise gréco-byzantine, pour les livres
liturgiques et autres. Son nom vient de ce que ce furent soixante-dix (septante, mais en réalité soixante-douze) savants juifs d’Alexandrie, ville grecque par excellence (construite par le célèbre chef militaire macédonien Alexandre le Grand), qui s’attelèrent à traduire la Bible et la Torah de l’hébreu en grec. Ils se divisèrent le travail entre eux. A Siméon et à un autre fut attribuée la traduction du livre du Prophète Isaïe.
       Lorsque les deux traducteurs arrivèrent au chapitre 7, dans lequel on lit ce fameux verset: “Voici que la Vierge conçoit et donne naissance à un fils, à qui elle donne le nom d’Emmanuel” (Dieu avec nous) (7, 14), ce fut un problème pour eux, et la traduction devint ardue.
       Ils étaient devant un mystère dépassant toute compréhension. Que faire? Ils étaient perplexes. Mais ils se sont
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vus obligés de traduire le texte tel qu’il est dans la langue hébraïque, même si cela dépassait leur compréhension.
       Siméon était celui qui doutait le plus, hésitant devant le texte et le mystère qui se cachait derrière ce texte, et il médita longuement à ce sujet. Les doutes qui l’assaillaient lui firent perdre tout sommeil. La Vierge est enceinte... Il voulait un signe, une preuve, pour comprendre ce mystère, ce prodige... Mais inutilement. Il pensa alors à une preuve étrange et se dit: “Je vais jeter mon anneau dans la mer, à Alexandrie. Si je le retrouve un jour, ce sera une preuve que ce prodige inouï va se réaliser; la Vierge donnera le jour à un enfant et restera vierge”. Et c’est ce qu’il fit.
       Une fois terminée la traduction, il retourna à Jérusalem et vécut dans une maison, qui devint plus tard un couvent portant son nom. Là, le désir de Siméon grandit de jour en jour, mais sans espoir. Cependant, sa foi en Dieu le réconfortait et lui donnait de l’espérance.
       Un jour qu’il était allé dans un restaurant pour le repas, il demanda du poisson et choisit celui qu’il préférait. Le cuisinier le lui prépara et, à son grand étonnement, trouva un anneau dans la bouche du poisson. Il porta le poisson sur un plateau, avec l’anneau, et dit à Siméon: “Nous avons trouvé cet anneau dans la bouche du poisson que tu as choisi. Voilà l’anneau”.
       A sa grande rurprise, Siméon découvrit que cet étrange anneau est le sien. Il semble que les poissons aiment les objets aigus qui les aident à porter leurs œufs à l’intérieur de leur bouche. Et Jésus dit à Pierre qu’il trouverait dans la bouche du
premier poisson qu’il pêcherait une pièce d’argent pour payer le tribut à César (Matthieu 17, 27). Et c’est ce qui arriva avec le poisson choisi par Siméon, qui portait dans sa bouche l’anneau jeté dans la mer à Alexandrie.
       Pour Siméon, ce fut le signe que la prophétie d’Isaïe n’était pas une ombre ou un mythe, mais une vérité, et que ce miracle allait se réaliser. C’est ainsi que l’Esprit l’a guidé au Temple,
 
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emporté par un grand, fervent et ardent désir de voir le Christ, Fils de la Vierge annoncé par Isaïe.
       C’est justement ce qui s’est passé au Temple, où Siméon rencontre Marie qui porte l’enfant Jésus, et son père putatif Joseph, qui le présentent au Temple. C’est alors que le vieillard s’approche et prend l’enfant Jésus dans ses bras et entonne ce chant (“Maintenant, ô Maître souverain, Tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix”), que nous répétons chaque jour à la fin des Vêpres dans le rite gréco-byzantin. C’est comme si nous disions au revoir à la vie pour en recevoir une autre chaque soir, pour accueillir le Roi de tous! Le prêtre récite aussi ce chant d’action de grâce à la fin de la Divine Liturgie.
 
La rencontre, but de l’Incarnation
 
       L’Incarnation – ce dogme si difficile pour le chrétien (et pour le non-chrétien, juif ou musulman) – est la rencontre de Dieu avec l’homme et la rencontre de l’homme avec Dieu. Dieu a d’abord rencontré l’homme par la Création. Dans la fresque de
Michel-Ange, au Vatican, nous voyons la création présentée dans un mouvement de rencontre: Dieu tend la main à Adam. C’est la création.  L’ensemble des événements de l’Evangile est fait de rencontres. Jésus tend la main et touche l’homme, ses sentiments, ses blessures, son âme, sa douleur, son doute... Dans l’icône de la Résurrection, le Christ descend dans l’abîme (le schéol), il tend la main à Adam et à Eve, Il les ressuscite de leur tombeau, de la mort. C’est ainsi que les événements de l’Evangile sont des événemensx de rencontre.
       Adam et Eve se rencontrent pour donner la vie. Ils deviennent le premier couple dans la rencontre de l’âme et du corps, la rencontre de la vie en commun. Dans la Bible, Dieu dit: “Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je lui ferai une aide semblable à lui” (Genèse 2, 18).
 
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       Et Dieu créa la femme de l’intérieur de l’homme, de sa côte (du plus profond d’Adam), et la lui offrit. Dieu appelle à la rencontre. Il est le parrain de la rencontre entre Adam et Eve. C’est Lui qui accompagne cette rencontre. On Le voit se promener dans le Paradis et appeler Adam et Eve, comme s’Il voulait passer un peu de temps avec eux. Mais ils se cachent. La grâce est la base de la rencontre avec Dieu. Le péché est l;a cause de l’éloignement de Dieu, de la rupture du contact avec Dieu  et du  pacte ou Testament avec Dieu.
       L’Ancien et le Nouveau Testaments: ces livres saints sont les livres du Testament, de la Rencontre. Les événements de l’Ancien Testament racontent tous les rencontres de Dieu avec son peuple, ses difficultés, ses éhecs, et l’insuccès de beaucoup de ces rencontres, et des appels répétés que Dieu a lancés pour rencontrer son peuple.
       C’est justement le rôle des prophètes, de reprendre la rencontre de l’homme avec Dieu. Et voilà le rôle de Jésus, qui couronne le rôle des prophètes. Lui aussi appelle à la rencontre, car Lui-même est le sujet de la rencontre. Il est la Perrsonne que nous rencontrons dans l’Incarnation, dans la foi et dans les sacrements. Jésus n’appelle pas à la rencontre d’un autre, Il
appelle à la rencontre avec Lui-même, en disant: “Je suis la voie, la vérité et la vie” (Jean 14, 6); et encore: “Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie” (Jean 8, 12).
 
Jésus est le Maître de la rencontre
 
       Jésus est le grand Maître de la rencontre. C’est Lui-même que nous rencontrons. Allons! Car “nous avons trouvé le Messie” (Jean 1, 41). Les messagers de saint Jean-Baptiste Lui demandent: “Es-tu Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?” (Luc 7, 20; Matthieu 11, 3). Et saint Pierre s’exclame: “A qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle” (Jean 6, 68).
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       “Suis-moi”: une parole qui se répète si souvent dans l’Evangile. Jésus ne laisse pas passer une occasion pour
rencontrer l’homme: les grands, les petits, les disciples, les enfants, les vieillards, les jeunes, les malades, les pharisiens et autres, les pécheurs et même les morts, qu’Il recontre pour les ressusciter. Et les deux disciples d’Emmaüs...
       Jésus marchait sur les sentiers des hommes, de tous les hommes et de toutes les femmes. C’est Lui qui va à leur rencontre. Les exemples sont nombreux, notamment ceux qui n’étaient apparemment pas dans le programme: les rencontres avec la Samaritaine (Jean 4, 6-26), avec la veuve de Naïm et la résurrection de son fils unique (Luc 7, 11-17), avec Zachée (Luc 19, 1-10)... Disons plutôt que tous ceux et toutes celles qui sont cités ci-dessus étaient dans le programme de l’amour de Jésus.
       Car Il a aimé l’homme, jusqu’au bout. Il n’a jamais haï aucun de ceux qu’Il a créés. Mais plutôt Il est venu pour que tous aient la vie et l’aient en abondance (Jean 10, 10). Il est venu “ramener à l’unité les enfants de Dieu dispersés” (Jean 11, 52). Et donc non pour un homme ou pour une élite du peuple juif qui a voulu l’accaparer et le circonscrire. Or Jésus ne peut jamais être circonscrit dans une nation, un peuple, une personne, une société, un parti, une pensés ou une opinion. De plus, il a voulu honorer la personne par son icône divine.
       Jésus appelle chacun à sa rencontre. “Vends ce que tu possèdes, ... puis viens, suis-moi” (Matthieu 19, 21). “Si quelqu’un veut se mettre à ma suite, qu’il se renie lui-même, prenne sa croix et me suive” (Matthieu 16, 24; Marc 8, 34; Luc 9, 23). “Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un écoute ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui” (Apocalypse 3, 20). “Venez voir” (Jean 1, 39). “Heureux sont vos yeux parce qu’ils voient! Heureuses sont vos oreilles parce qu’elles entendent” (Matthieu 13, 16).
       Ainsi les yeux, les oreilles et tous les organes et les sens de l’homme deviennent un instrument et un outil pour rencontrer Dieu, pour rencontrer Jésus.
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       Jésus s’adresse à ses disciples: “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. C’est moi qui vous ai choisis et établis pour que
vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure” (Jean 15, 16). “Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs au repentir” (Luc 5, 32). Et Jésus insiste: “Demandez, et l’on vous donnera; frappez et l’on vous ouvrira” (Matthieu 7, 7). Il nous exhorte à Le rencontrer et à rencontrer les autres: “Allez dans le monde entier! Proclamez l’Evangile à toute la création!” (Marc 16, 15).
       Jésus aime les rencontres privées: “Si quelqu’un m’aime (...) mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure” (Jean 14, 23).
       Jésus rencontre tout le monde. Mais il prend un soin spécial de ceux qui ne comptent pas sur cela. Ainsi, il laisse les 99 brebis dans le bercail et va à la recherche de la brebie perdue, égarée, puis la porte sur ses épaules (Matthieu 18, 12-14). Il est le père qui monte tous les jours sur le toit de sa maison pour essayer d’apercevoir la silhouette de son fils. Et quand il le voit, il descend et court à sa rencontre sur le chemin, l’embrasse et ne le laisse pas continuer ses paroles d’excuse, de repentir et de remords (Luc 15, 11-22).
       Pouvons-nous oublier les événements de la Résurrection? Ce sont surtout des rencontres, des initiatives affectueuses de la part de Jéus, qui a promis à ses disciples de ne pas les laisser orphelins (Jean 14, 18), et de venir chez eux. Après la Réurrection, effectivement, Il vient chez eux et entre alors que les portes sont fermées, et leur dit: “Paix à vous” (Luc 24, 36; Jean 20, 19-20). Il s’adresse au disciple hésitant et douteux, Thomas.Il accompagne les deux disciples, Luc et Cléopas, sur la route d’Emmaüs, incognito (Luc 24, 13-35). Il surprend les Apôtres avec un langage presque défiant: “Avez-vous quelque chose à manger?” (Luc 24, 41). Il apparaît à eux, ça et là, comme le décrivent les Evangiles, les Actes des Apôtres et Saint Paul.
 
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       Enfin Il apparaît à Saul, qui n’est pas encore Paul, sur la route de Damas, loin du lieu, en Palestine, des événements de l’Evangile (Actes 9, 1-9).
       Pouvons-nous oublier son apparition (discrètement passée sous silence par les Evangiles) à Marie, sa Mère, et celle à Marie de Magdala, la pécheresse convertie, au matin de la Résurrection (Marc 16, 9; Jean 20, 11-18)?
       Ainsi nous voyons Jésus sur les chemins des hommes et des femmes, de tous et de toutes, sur les chemins de la Palestine, ses vallées, ses collines, de Capharnaüm à Nazareth, en Samarie, jusqu’à Jérusalem. Il est Dieu en route, sur les chemins des hommes.
       Avant de monter au ciel, il recommande à ses disciples d’aller à la rencontre des autres, sur leurs chemins, d’aller à tous, de prêcher l’Evangile à qui l’écoute et à qui ne veut pas l’écouter, à celui qui a des oreilles pour écouter et à celui qui n’en a pas. Il a enseigné à ses disciples comment rencontrer les autres (Luc 10, 1-16; Marc 6, 7-12).
 
L’Eglise, lieu de rencontre
 
       La rencontre de Jésus au Temple est le symbole de sa rencontre avec la communauté, car le Temple est le lieu de rencontre de la communauté. Au Temple, Il rencontre tous ceux qui y vont. Le mot “église”, dans le sens étymologique, en arabe, en hébreu, en grec et dans d’autres langues, veut dire un lieu de réunion et de rencontre. Il en est ainsi pour les termes de synagogue (pour les Juifs, mot grec qui signifie lieu de rencontre), de mosquée (pour les musulmans),  comme pour le mot grec et latin ecclesia d’où dérivent les mots désignant l’église dans d’autres langues.
       Jésus se rendait fréquemment au Temple et dans les synagogues. Il a été présenté au Temple quand il avait quarante jours, puis Il est entré au Temple à l’âge de douze ans, selon la tradition juive, quand on Lui a remis la Torah.  L’Evangéliste
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Luc raconte comment Marie et Joseph ont perdu Jésus, puis sont revenus à Jérusalem et ont retrouvé l’Enfant au Temple, y enseignant les docteurs (Luc 2, 41-52).
       Nous Le voyons, dans l’Evangile, se rendre souvent au Temple, où Il prêche, fait des miracles, chasse les vendeurs et les changeurs de monnaie (Marc 11, 15; Luc 19, 45). Il compare son corps au Temple, où eut lieu sa rencontre avec Siméon.
       De même, l’église est le lieu de communication, de dialogue, d’enseignement, de catéchèse, de rencontre avec Dieu dans la prière, les chants, la célébration de la Liturgie. C’est le lieu où nous vivons notre foi avec les autres croyants. C’est la même chose pour la mosquée et la synagogue, et pour tous les lieux de culte.
       Dans le Temple, dans l’église, Dieu rencontre l’homme. Il s’enquiert de l’homme, de sa situation, de ses problèmes. Ainsi, Il a demandé à Caïn: “Où est Abel, ton frère?” (Genèse 4, 9). Il demande à Adam, au Paradis: “Où es-tu?” (Genèse 3, 9). Dieu rencontre l’homme. Dieu, le Créateur, s’informe de sa créature. C’est ce que nous appelons la Divine Providence. Dieu est plein de miséricorde, Polyeleos, Il aime les hommes, Philanthropos, Il  est plein de compassion,
الرحمان الرحيم
C’est la compassion qui pousse l’homme à la rencontre de l’autre, surtout de celui qui a besoin d’amour, de compassion, d’aide. C’est ce que j’ai lu dans divers lieux lors de ma visite à Taiwan: Voir, sentir, aimer!
 
L’œil et la rencontre
 
       L’œil et la vision jouent un rôle important dans la rencontre. C’est l’œil vigilant, aimant et tendre qui découvre ce qu’on ne voit pas au premier abord. C’est ce que dit Siméon en rencontrant Jésus: “Car mes yeux ont vu ton Salut... lumière pour éclairer les païens”.
 
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       Après notre rencontre avec Jésus dans la Communion, nous chantons: “Nous avons vu la vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie Foi”.
       Les yeux parlent, tout comme nous parlons avec notre langue. C’est ce que nous trouvons dans l’Evangile. Beaucoup d’événements le montrent. Pierre a vu et il a cru (Luc 5, 8-9). Thomas a vu et a cru: “Si je ne vois dans ses mains la marque des clous...” (Jean 20, 24-29). Jean-Baptiste voit l’Esprit-Saint descendre sur Jésus (Matthieu 3, 16; Marc 1, 10; Luc 3, 22). Jésus béatifie les yeux: “Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez” (Luc 10, 23). Il dit à Nathanaël: “Parce que je t’ai dit que je t’ai vu sous le figuier, tu as cru” (Jean 1, 50). Et à Thomas: “Heureux ceux qui croient sans voir!”  (Jean 20, 29). L’Apôtre Saint Jean écrit dans sa Première Epître, au sujet de son expérience à partir de la vision: “Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons” (1 Jean 1, 3).
 
Marie, Notre Dame de la Rencontre
 
       L’Evangile tout entier est un appel à la rencontre. Marie, dans cette fête de la Rencontre, livre Jésus à l’humanité, au monde, par l’intermédiaire de Siméon. Elle donne Jésus au monde. Elle l’a porté dans son sein. Elle Lui a donné naissance dans une grotte. Maintenant, elle Le livre à Siméon dans le Temple. Cela veut dire qu’elle Le livre à l’Eglise.
       C’est le sens de l’icône de Marie dans la tradition gré-byzantine. Elle n’est jamais représentée seule, mais toujours avec Jésus, qu’elle offre, qu’elle montre au monde, et elle appelle les hommes à Le rencontrer. C’est pour cela que nous insistons auprès de nos fidèles pour qu’ils conservent leur tradition orientale très expresssive, de sorte que l’icône de la Vierge Marie la représente toujours avec son Divin Fils, Jésus. De même, quand leur piété les pousse à ériger un petit oratoire dans une rue, ou même une statue, nous leur demandons que Marie soit toujours avec son Fils Jésus. Ainsi, Marie mène les
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 croyants à Jésus. Ou aussi,  elle montre, comme nous disons dans l’Acathiste, Dieu qui aime les autres. Cette icône s’appelle Odigitria: celle qui montre le chemin.
 
L’humanité est une rencontre
 
       La fête de la Rencontre est la fête de l’humanité. Dieu nous a créés pour fonder ensemble une unique famille humaine. Le proverbe populaire dit: Une montagne ne peut pas rencontrer une montagne, mais un homme  peut rencontrer un homme. L’homme rencontre l’homme (et la femme). Un autre proverbe arabe dit: Le Paradis sans l’homme (et la femme) n’est pas habitable. Et le verset 14 de la sourate Hajirat du Coran dit: “Nous vous avons créés mâle et femelle pour vous connaître mutuellement”. Jésus refuse de recevoir l’offrande d’une personne en inimitié avec son frère et qui ne sait pas faire la paix avec lui: “Va d’abord te réconcilier avec ton frère; tu viendras alors présenter ton offrande” (Matthieu 5, 24).
       Comme nous l’avons dit plus haut, l’église, comme terme linguistique, dans beaucoup de langues, signifie le lieu où les fidèles se rencontrent. Ainsi l’église, de pierre et de chair, est le lieu de la rencontre. Sa mission et son rôle essentiels sont d’aider les fidèles à se rencontrer avec Dieu et avec l’autre, le frère ou la sœur.
 
Les sacrements de l’Eglise sont les sacrements de la rencontre
 
       Le Concile Vatican II a déclaré: “Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent,  sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ” (Constitution pastorale Gaudium et spes 1), et bien sûr de leurs pasteurs. Tout comme la mission de Jésus est la rencontre de Dieu avec l’homme, de même la mission de l’Eglise est la
 
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rencontre de Dieu avec les hommes et la rencontre des hommes entre eux. C’est pourquoi les sacrements (mystères) de l’Eglise sont les sacrements de la rencontre de Dieu avec les hommes et
de l’homme avec Dieu et son frère. Les sacrements de l’Eglise sont les sacrements de la communauté.
       Ainsi le Baptême est le sacrement de la rencontre avec le Christ. “Vous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ”. C’est aussi la rencontre avec la communauté de ceux qui croient en Jésus, qui s’appelle l’Eglise.
       L’Aghion Myron (ou confirmation) est le don de l’Esprit à la communauté croyante, car c’est l’Esprit qui vivifie la communauté et la rend communauté.
       L’Eucharistie est le sacrement de la communauté dans ses plus belles expressions. Le terme “liturgie” veut dire l’œuvre de la communauté, du peuple. Et la Communion unit le fidèle au Christ et au frère dans le Christ. C’est ce qu’affirme Saint Paul dans sa Première Epître aux Corinthiens où il abonde dans l’explication de la relation entre les membres du corps entre eux, et la relation des fidèles avec le Christ et entre eux-mêmes, dans l’Eglise et à travers l’Eglise (1 Corinthiens 12, 12-30).
       Le sacrement du Mariage est encore le sacrement de la rencontre par excellence: le père, la mère, l’époux, l’épouse, les enfants... La famille est le lieu de la rencontre humaine par excellence.
       Le sacrement de l’Ordre sacerdotal est le sacrement de la consécration au service de Dieu et de la communauté dans l’Eglise.
       Le sacrement de la Pénitence est celui de la marche de la communauté vers la sainteté. C’est le sacrement qui restaure la relation des fidèles avec Dieu et entre eux. Le péché détruit la relation avec Dieu et avec les autres hommes. Le péché est le contraire de la rencontre. Il éloigne l’homme de Dieu et de son frère.
       Le sacrement de l’Onction des malades est celui de la guérison de l’homme et de la femme, et de la rencontre de
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l’Eglise avec l’homme souffrant. C’est le sacrement de la préparation de l’homme à la rencontre avec Dieu dans l’éternité.
 
L’Eglise est le Peuple de Dieu: en  elle se rencontrent les hommes
 
       Les sacrements de l’Eglise sont vraiment la base de la rencontre du peuple chrétien, des chrétiens entre eux, avec tout être humain. Car les sacrements forment l’Eglise et son unité, pour que les fidèles deviennent un peuple, une nation, comme l’affirme Saint Pierre: “Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis” (1 Pierre 2, 9).
       De cela parle le Pape François dans l’Exhortation Apostolique Gaudium Evangelii, notamment dans les passages suivants:
       “Ce salut, que Dieu réalise et que l’Eglise annonce joyeusement, est destiné à tous, et Dieu a donné naissance à un chemin pour s’unir chacun des êtres humains de tous les temps. Il a choisi de les convoquer comme peuple et non pas comme des êtres isolés. Personne ne se sauve tout seul, c’est-à-dire ni comme individu isolé  ni par ses propres forces. Dieu nous attire en tenant compte de la trame complexe des relations interpersonnelles que comporte la vie dans une communauté humaine. Ce peuple que Dieu s’est choisi et a convoqué est l’Eglise” (nº 113).  
Etre Eglise c’est être Peuple de Dieu, en accord avec le grand projet d’amour du Père. Cela appelle à être le ferment de Dieu au sein de l’humanité. Cela veut dire annoncer et porter le salut de Dieu dans notre monde, qui souvent se perd, a besoin de réponses qui donnent courage et espérance, ainsi qu’une nouvelle vigueur dans la marche. L’Eglise doit être le lieu de la misécorde gratuite, où tout le monde peut se sentir accueilli, aimé, pardonné et encouragé à vivre selon la bonne vie de l’Evangile” (nº 114).

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       L’Eglise est donc le lieu de rencontre, et non de recroquevillement et d’isolement. Elle est un appel constant à la
rencontre. Il est nécessaire de joindre, à la mission de l’Eglise à l’intérieur (ad intra), celle de “ramener à l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jean 11, 52), comme Jésus, la mission ad extra, afin que les fidèles soient, dans la société, lumière, sel et levain.
       Ainsi, l’Eglise démontre le sens de la présence du fidèle dans la société. Car l’individu n’a pas de sens sans la société. Sa valeur est en lui-même et dans la société. C’est ce qu’a très bien défini le saint Pape Jean Paul II dans son message pour la Journée Mondiale de la Paix de janvier 2005: “La nature sociale” de la personne humaine est son “être avec et pour les autres”. Tu es dans la société, mais tu es pour la société. C’est le sens de la parole de Jésus qui résume l’idéal de la vie: “Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait surabondante” (Jean 10, 10). On a dit de Jésus qu’Il est venu pour “ramener à l’unité les enfants de Dieu dispersés” (Jean 21, 52). Et, dans notre Liturgie, nous disons: “Il est venu pour réunir ce qui est divisé, et éclairer ce qui est sombre”.
       Jésus a prié pour tous ceux qui croient en Lui, pour l’unité de l’humanité, la rencontre, la solidarité, l’entraide, et cela juste pendant les dernières heures avant sa Passion et sa Mort: “Que tous soient un, comme Toi, Père, Tu es en moi, et moi en Toi” (Jean 17, 21). C’est là la grande vocation chrétienne. C’est là le rôle du chrétien à travers les siècles, en Orient et en Occident: œuvrer pour la rencontre, les bonnes relations, le dialogue, la convivialité et l’unité.
       Pas de salut de l’individu sans la communauté, et pas de salut pour la communauté sans le salut de l’individu!
       Quand nous étions jeunes novices, on nous posait la question: Pourquoi es-tu entré au couvent? Et la réponse était: pour sauver mon âme et celle des autres. C’est là le sens de la consération dans la vie sacerdotale et dans la vie religieuse. Comme nous l’avons dit plus haut, le sacrement de l’Ordre sacerdotal est le sacrement de la rencontre.
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       C’est ce qu’a affirmé le Pape François dans Gaudium Evangelii:
       “Pour partager la vie des gens et nous donner généreusement, nous devons reconnaître aussi que chaque personne est digne de notre dévouement. Ce n’est ni pour son aspect physique, ni pour ses capacités, ni pour son langage, ni pour sa mentalité, ni pour les satisfactions qu’elle nous donne, mais plutôt parce qu’elle est œuvre de Dieu, sa créature. Il l’a créée à son image, et elle reflète quelque chose de sa gloire. Tout être humain fait l’objet de la tendresse infinie du Seigneur, qui habite dans sa vie. Jésus Christ a versé son précieux sang sur la croix pour cette personne. Au-delà de toute apparence, chaque être est infiniment sacré et mérite notre affection et notre dévouement” (nº 274).
       Tout homme est apôtre pour son frère. D’où l’importance de l’éducation à la maison et à l’école, une éducation à la responsabilité individuelle envers la communauté. Celui qui est responsable est la personne qui peut construire une société, et non pas la personne indifférente et irresponsable.
       En réponse à trois questions posées au personnel d’un hôpital allemand, j’ai vu ces trois réponses écrites:
       Qui? Si ce n’est pas nous.
       Où? Si ce n’est pas ici.
       Quand? Si ce n’est pas maintenant.
       Aussi en Allemagne, j’ai lu dans un congrès que beaucoup de petites gens, dans beaucoup de petits endroits, qui font beaucoup de petits pas, peuvent changer le visage du monde.
 
La famille, lieu de rencontre
 
       La rencontre se réalise dans la famille, qui est le lieu naturel quotidien pour ses membres. C’est pour cela que nous exhortons nos familles à intensifier les occasions et les aspects des rencontres familiales, dans la joie, la prière, la méditation, la lecture de l’Evangile, et à manger ensemble, à faire des
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excursions et des promenades ensemble, à assister à la Divine Liturgie ensemble, et à participer aux activités de leur paroisse.
       Saint Jean Chrysostome parle de la famille en la décrivant comme une “Eglise domestique” ou aussi “Eglise de la ville”, c’est-à-dire Eglise de la société, car la force de l’Eglise l’aide à remplir sa mission dans la ville et dans la société.
 
Le travail pastoral est rencontre
 
       L’Eglise doit descendre à la rue, à la réalité de la rencontre des gens, de tous et de toutes, pour être au courant des situations et pour aider à trouver et à donner des solutions aux problèmes des fidèles.
       Cela est le devoir des pasteurs, surtout des prêtres, qui sont appelés à la rencontre des fidèles et à faire entendre leur voix aux Evêques et aux Patriarches, aux différentes instances de l’Eglise. A cela nous invite le Saint Père François dans Gaudium Evangelii, dont voici quelques extraits, qui expliquent l’importance de la rencontre et des contacts entre la paroisse, la famille et le clergé paroissial.
      
       “Pour être d’authentiques évangélisateurs, il convient aussi de développer le goût spirituel d’être proche de la vie des gens, jusqu’à découvrir que c’est une source de joie supérieure. La mission est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple. (...) Nous redécouvrons qu’Il veut se servir de nous pour devenir toujours plus proche de son peuple aimé. Il nous prend du milieu du peuple et nous envoie à son peuple, de sorte que notre identité ne se comprend pas sans cette appartenance” (nº 268).
       “Jésus même est le modèle de ce choix évangélique qui nous introduit au cœur du peuple. (...) Le don de Jésus sur la croix n’est autre que le sommet de ce style qui a marqué toute sa vie. Séduits par ce modèle, nous voulons nous intégrer profondément dans la société, partager la vie de tous et écouter
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 leurs inquiétudes, collaborer matériellement et spirituellement avec eux dans leurs nécessités, nous réjouir avec ceux qui sont joyeux, pleurer avec ceux qui pleurent et nous engager pour la construction d’un monde nouveau, coude à coude avec les autres” (nº 269).
       “Jésus veut que nous touchions la misère humaine, la chair souffrante des autres. Il attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en concat avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse” (nº 270).
       “Il est vrai que, dans notre relation avec le monde, nous sommes invités à rendre compte de notre espérance, mais non pas comme des ennemis qui montrent du doigt et condamnent. (...) Il est évident que Jésus Christ ne veut pas que nous soyons comme des princes, qui regardent avec dédain, mais que nous soyons des hommes et des femmes du peuple. Ce n’est ni l’opinion d’un Pape ni une option pastorale parmi d’autres possibilités; ce sont des indications de la Parole de Dieu, aussi claires, directes et indiscutables qu’elles n’ont pas besoin d’interprétation” (nº 271).
       “La mission au cœur du peuple n’est ni une partie de ma vie ni un ornement que je peux quitter, ni un appendice, ni un moment de l’existence. Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être si je ne veux pas me détruire. Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde. Je dois reconnaître que je suis comme marqué au feu par cette mission afin d’éclairer, de bénir, de vivifier, de soulager, de guérir, de libérer. Là apparaît l’infirmière dans l’âme, le professeur dans l’âme, le politique dans l’âme, ceux qui ont décidé, au fond, d’être avec les autres et pour les autres’’ (nº 273).
 
 
 
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La rencontre dans ma vie
 
       La rencontre est le vrai sens de la fête de l’Entrés de Jésus au Temple. La rencontre est la grande réalité de ma vie, et cela aussi dans la vie de chaque être humain. La rencontre est le
résumé de la relation entre l’homme et son frère en humanité, entre l’individu et la société.
       Je ne me suis senti heureux que dans mes relations avec les gens. Je comprends l’importance de la rencontre dans ma vie, quand je la récapitule, depuis les bancs du noviciat au couvent du Saint-Sauveur et plus tard à Rome, puis dans les rencontres si vastes qui suivirent avec les étudiants d’Europe, avec mes amis allemands, surtout lors du Chemin de Pax Christi, em 1959, de Metz (France) à Trèves (Allemagne), où est exposée la Tunique de Jésus. Au long de cette route, nous sommes passés dans des villages où le frère a combattu contre son frère, dans les villages détruits par la guerre, et nous avons noué des relations avec les familles chez qui nous passions la nuit, chaque fois dans un autre village... Et aussi toutes les amitiés que j’ai enregistrées au cours de ma vie avec des milliers de personnes: des amitiés personnelles, existentielles, qui ont formé et modelé le tissu de ma vie, et marqué mes sentiments et ma personnalité de prêtre, d’Evêque dans ma chère Palestine et de Patriarche.
       Conbien est triste et pauvre la vie sans rencontres! Conbien est riche la vie avec et à travers la rencontre. Le prêtre est par excellence l’homme du dialogue.
       Oui, la rencontre a joué un grand rôle dans ma vie. Son tissu est la rencontre.
       La création de la revue L’Unité dans la Foi, en 1961, était fondée sur le désir de voir les chétiens se rencontrer dans l’unité avec Jésus et à travers Jésus, connaître leur patrimoine oriental et se rencontrer à travers ce patrimoine. Car l’unité entre les chrétiens se fonde sur la connaissance mutuelle, l’enrichissement réciproque, la découverte de la personnalité de
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l’autre, et la richesse de sa tradition, de sa liturgie et de son histoire.
       Mon service pastoral dans les villages du Chouf, dans le sud du Liban, à l’est de Saïda, a enrichi ma vie. Ce furent mes plus belles années, les plus belles rencontres avec un peuple croyant en Jésus, fier de sa foi, ouvert aux relations avec tous les concitoyens.
 
La fondation du Foyer de la Providence
 
       Cette fondation, en 1966, toujours au sud du Liban et à l’est de Saïda, est le fruit de milliers de rencontres excellentes avec mes amis, surtout allemands, qui remplissent ma mémoire d’amour, de sincérité, de fidélité, de don de soi, de générosité, de dévouement, d’hospitalité, de foi et de dévotion. Ils m’ont aimé et je les ai aimés. Ils m’on vénéré et je les ai vénérés. Ils m’ont enrichi et je les ai enrichis. Ils ont offert l’argent avec générosité pour m’aider dans mon service religieux, sacerdotal et apostolique, dans mes projets grands et petits, si nombreux au Liban, en Palestine, en Syrie, pour le service pastoral, la direction du grand séminaire de l’Ordre Basilien du Saint-Sauveur, le service des catéchistes des villages, les petits projets sociaux des villages du Chouf et du reste du Liban du sud, la revue L’Unité dans la Foi. En échange, je les ai enrichis à travers les célébrations liturgiques, les conférences sur le patrimoine oriental, les sacrements, la dévotion mariale, le commentaire de l’Evangile avec des yeux orientaux, à partir des images de la vie rurale en Syrie, notamment dans la ville rurale de ma mère, à Khabab.
       Nous avons réalisé ensemble une rencontre admirable entre l’Orient et l’Occident, qui a été une école de foi et un enrichissement mutuel. C’est là la plus haute signification de la rencontre, qui s’approfondit par le don mutuel, l’amitié, le service et le respect mutuels, l’estime, les sentiments sincères, les cadeaux, les fêtes, les repas de l’amitié... Tout cela fait de la
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rencontre entre les hommes et les femmes une raison de vrai bonheur, où il n’y a pas de place pour l’égoïsme, l’exploitation, l’amour de l’argent, et l’extorsion. Il n’y a pas de place pour tout cela dans la rencontre vraie et sincère entre les êtres humains. Il doit en être de même dans le cas de la rencontre entre le prêtre et le peuple dans la paroisse. La gratuité est la base de la rencontre, de même que la spontanéité, la simplicité, l’ouverture et le sourire. Tout cela est le fondement de la rencontre, de sa continuité, de ses fruits, des amitiés qui en naissent. Tout cela, je l’ai expérimenté dans ma vie pleine de rencontres, dans ma vie pastorale.
       Je n’ai jamais trouvé rien de plus beau que le service pastoral: les visites pastorales dans les maisons, le travail avec les jeunes, les confréries... Ces rencontres aident le prêtre dans son travail pastoral, pour préserver la sainte foi dans les cœurs et les âmes des fidèles de nos paroisses.
 
Les projets de rencontres
 
       Les projets de ma vie furent le fruit de la Rencontre. Ils se sont centrés sur la Rencontre. Je me souviens surtout des projets qui portent le nom de la Rencontre, dont le “Centre Liqaa” (Liqaa = Rencontre) pour le patrimoine des chrétiens et des musulmans à Jésusalem et en Terre Sainte. Je l’ai fondé, avec mon ami le Dr. Giries Khoury et plusieurs professeurs universitaires chrétiens et musulmans en 1982.
       C’est ainsi que commença, en 1982, une chaîne de projets qui tous portaient le nom de “Rencontre” (Liqaa), dont le projet de Logement “Liqaa”, avec 36 appartements pour jeunes familles, la paroisse “Liqaa”, la clinique “Liqaa”, le centre pastoral “Liqaa”, la salle paroissiale :Liqaa:, tout cela à Jérusalem.
       Les projets de Rencontre m’ont accompagné de Jérusalem au Liban et en Syrie. Après mon élection patriarcale en 2000, la Divine Providence a voulu couronner tous les projets de
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Rencontre par le grand centre “Liqaa” de Raboué, au Liban, pour le dialogue des civilisations, fruit de la générosité et de la magnanimité de Sa Majesté le Sultan Kabous de Oman. Je l’avais visité une seule fois, avec respect, affection et confiance, et il a tout de suite ouvert son cœur et sa pensée en faveur de mon projet de fonder ensemble ce centre grandiose, qui porte le nom de “Liqaa” et que nous avons inauguré en 2010.
       Grâce à Dieu, ma vie fut et est riche, parce que riche en rencontres. J’ai cherché et cherche toujours la rencontre. La rencontre, dans ma vie, n’est pas une chose fortuite, ou un hasard, ou une occasion propice. J’ai cherché la rencontre, je l’ai toujours provoquée. Je ne peux pas passer près d’une personne sans la rencontrer d’une façon ou d’une autre, par un sourire, un geste de la main, un clin d’œil, un signe quelconque. Jamais je ne suis passé près d’une personne sans que je sente une relation d’amour avec elle, sans que je sois proche d’elle. Je pourrais raconter des milliers d’histoires au sujet de la magie, du miracle et des fruits de ces rencontres. Peur-être publierai-je un livre à ce sujet.
 
Le prêtre rencontre les gens dans leur faiblesse
 
       Ainsi l’Eglise et le prêtre doivent rencontrer les gens, surtout ceux et celles qui sont rejetés, pauvres, marginalisés, malades, oubliés, âgés. Ceux et celles qui n’ont pas de considération, qui n’ont pas de place privilégiée ou de dignité dans la société, qui ne sont pas respectés, qui se sentent en dehors de l’Eglise ou loin d’elle. Avec ceux-là et celles-là, la rencontre est belle. Ils sont les partenaires de la rencontre.
       Le Pape François a appelé l’Eglise entière, et tous ses membres, à “prendre soin de ceux qui sont les plus fragiles sur la terre”. Voici une liste de ceux et celles qui sont les plus fragiles, comme on la trouve dans l’Exhortation Apostolique Gaudium Evangelii du Pape François:
 
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       “Il est indispensable de prêter attention aux nouvelles formes de pauvreté et de fragilité dans lesquelles nous sommes appelés à reconnaître le Christ souffrant, même si, en apparence, cela ne nous apposte pas des avantages tangibles et immédiats: les sans-abri, les toxico-dépendants, les réfugiés, les populations indigènes, les personnes âgées toujours plus seules et abandonnées, etc. Les migrants me posent un défi particulier parce que je suis Pasteur d’une Eglise sans frontières qui se sent mère de tous. Par conséquent, j’exhorte les pays à une généreuse ouverture, qui, au lieu de craindre la destruction de l’identité locale, soit capable de créer de nouvelles synthèses culturelles” (nº210).
       “La situation de ceux qui font l’objet de diverses formes de traite des personnes m’a toujours attristé. Je voudrais que nous écoutions le cri de Dieu qui nous demande à tous: Où est ton frère? (Genèse 4, 9). Où est ton frère esclave? Où est celui que tu es en train de tuer chaque jour dans ta petite usine clandestine, dans le réseau de ptostitution, dans les enfants que tu utilises pour la mendicité, dans celui qui doit travailler caché parce qu’il n’a pas été régularisé?” (nº 211).
       “Doublement pauvres sont les femmes qui souffrent des situations d’exclusion, de maltraitance et de violence, parce que, souvent, elles se trouvent avec de plus faibles possibilités de défendre leurs droits. Cependant, nous trouvons tout le temps chez elles les plus admirables gestes d’héroïsme quotidien dans la protection et dans le soin de la fragilité de leurs familles” (nº 212).
       “Nous tous, chrétiens, petits mais forts dans l’amour de Dieu, comme saint François d’Assise, nous sommes appelés à prendre soin de la fragilité du peuple et du monde dans lequel nous vivons” (nº 216).
 
 
 
 
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La rencontre des civilisations et des religions
 
       Oui, rencontre, et non pas lutte! C’est là le grand défi. La théorie de Samuel Huntington (1996) est le choc des civilisations. Le fameux livre de Hitler, Mein Kampf (“Ma lutte”) a été la base du nazisme, qui a été à l’origine de la guerre d’extermination communautaire, la seconde guerre mondiale (1939-1945), laquelle a causé la mort de 90 millions de personnes.
       Ce qu’on appelle “Printemps arabe” est fondé sur cette théorie destructrice, la théorie de la lutte. C’est juste le contraire de la volonté de Dieu sur l’humanité, dans le mystère de Noël, de l’Incarnation et de la Rédemption, et à travers le message de l’Evangile. Le chant des anges est ce programme humain admirable: “Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la tertre aux hommes qu’Il aime” (Luc 2, 14). Ce chant jette les germes et les fondements de la rencontre entre les enfants de la terre, leur rencontre entre eux et avec Dieu. Le beau fruit, c’est le bonheur!
       La rencontre signifie le partage, l’acceptatiomn de l’autre, de sa pensée, de sa civilisation, de sa foi, de sa culture, de sa mentalité. C’est une rencontre humaine, entière, universelle. C’est là la rencontre des civilisations et des religions, ou plutôt des hommes dans leurs civilisations et leurs religions, chacun selon sa religion. Le monde entier est rencontre avec Dieu, avec la nature.
       C’est d’une grande importance que nous perfectionnions l’art et la philosophie de la rencontre, sa spiritualité, sa technique, en tant qu’êtres humains, pères, mères, surtout prêtres, missionnaires, religieux et religieuses. Tous et toutes doivent exceller dans la vertu et le charisme de la rencontre. On ne peut pas passer devant les autres sans les voir, sans les rencontrer.
       La rencontre est la base de l’amitié. L’humanité d’aujourd’hui a tellement besoin de ce genre de rencontre. La
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rencontre surgit de la confiance en l’autre, du sentiment de la dignité et de la valeur des autres, du fait qu’ils sont nos frères et qu’elles sont nos sœurs, nos partenaires dans la vie, créés à l’image et à la ressemblance, à l’icône de Dieu.
       La rencontre est le fondement de l’amitié et de la confiance entre les peuples, et donc le fondement de la paix mondiale, comme l’a affirmé le Concile Vatican II. En revanche, les guerres se fondent sur la méfiance entre les peuples, entre les nations, les croyants des différentes religions et confessions religieuses, entre les tribus, entre les quartiers d’une même ville, entre les membres d’une même famille, et sont le fruit de l’envie, des intérêts personnels, de l’égoïsme et de la volonté de domination.
       Nous avons tellement besoin de cette vraie rencontre fondée sur la foi et les valeurs humaines et religieuses, la valeur de la personne, nous avons besoin d’une rencontre culturelle, de civilisation, entre les nations de l’Orient et de l’Occident.
 
Centres et initiatives de rencontre
 
       Nous avons tellement besoin, aujourd’hui, de créer des centres de rencontre dans notre monde déchiré! Je suis heureux, comme je l’ai dit ci-dessus, d’avoir pu fonder cette chaîne de centres de rencontre. A la suite des guerres et des tragédies dans notre monde arabe, nous avons besoin de fonder des petits centres de rencontre ayant pour but de développer le sens de la rencontre entre les gens, surtout parmi les habitants d’un même pays, d’une même ville, d’un même quartier, entre les membres d’une même famille, pour aider à la guérison de l’âme et des sentiments, pour éloigner les conséquances et les sequelles de la guerre, de la violence et du terrorisme, pour effacer les images et les scènes barbares, hideuses, sales et inhumaines qui envahissent notre société et que les media propagent. Cela blesse surtout les âmes des enfants et des jeunes et pose les
 
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fondements d’une génération de violence, de terreur, de tuerie, de haine et d’inimitié. Les guerres intensifient tout cela.
       Notre grande peur est que ces sentiments et ces facteurs destructifs envahissent notre société arabe et détruisent nos valeurs sociales et de foi. Il est souhaitable que des professeurs et des psychologues spécialistes de la famille composent des fascicules de différents niveaux scolaires, avec des cours graduels, au sujet des principes de la rencontre, du dialogue, de la réconciliation, de l’entraide, de la communication, du respect mutuel, de la confiance et du pardon, et que les gouvernements adoptent ces fascicules pour l’enseignement officiel. Récemment, en 2014, le Centre Adiane (Religions) a publié un livre en ce sens, en arabe.
       Nous sommes devant un grand danger idéologique, représenté par le soi-disant Etat Islamique. Ce que ce mouvement propage au moyen de videos barbares et hideux est une stratégie claire qui vise à détruire la société et à la vider des valeurs et des principes que nous avons cités plus haut, et  cela au moyen de la peur et de la terreur parmi les citoyens.
       C’est à cause de tout cela qi’il faut déployer de grands efforts, par tous les moyens, pour affirmer et répandre la culture de la rencontre à tous les niveaux: culturtel, sportif, scolaire, universitaire, mais aussi dans les usines, les confréries, les clubs, les sociétés de bienfaisance... pour faire tomber ce mur de l’inimitié entre les hommes, dont parle Saint Paul dans son Epître aux Ephésiens (2, 14-16):
       “Car c’est Lui [le Christ] qui est notre paix, Lui qui des deux mondes en a fait un seul, renversant le mur qui les séparait,  la haine, abolissant dans sa chair la Loi avec ses décrets et ordonnances. Il a voulu ainsi, établissant la paix, créer en Lui de ces deux hommes un seul homme nouveau, et par la croix, tuant en lui la haine, les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul corps”.
 
 
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Appel pour le langage de la rencontre
 
       A travers cette lettre de Noël, nous adressons un appel au monde entier, aux pays arabes et autres. Nous leur demandons d’agir sur la base de la justice, du droit, du pardon, du dialogue et de la rencontre, et que cela soit préféré au langage de la guerre, des armes et de l’armement. Nous formulons cet appel en tant que Patriarche syrien et l’adressons à notre cher gouvernement syrien, aux Etats de la région et aux Etats du monde entier. Il est absolument impératif de changer la vision et les moyens de traiter les différends et les intérêts. C’est là la vraie force, celle de nos valeurs chrétiennes et évangéliques de notre foi. Car la foi est une partie de la solution des problèmes et affrontements de nos pays dans leur diversité.
       Ainsi nous revenons aux valeurs de l’Incarnation, que nous célébrons le jour de Noël. C’est le mystère de la rencontre. Les chrétiens doivent mettre en exergue les valeurs de notre foi pour résoudre les problèmes de nos pays. Le monde doit trouver une voie autre que celle de la guerre.
       Le mur de Berlin a subsisté pendant de nombreuses années, mais il est finalement tombé sans une goutte de sang il y a 25 ans, en 1989. Pour le protéger, 50.000 soldats avaient été mis en place, mais il est tombé. Malheureusement, les Israéliens ont construit un mur de huit mètres de haut, qui s’étend sur de longues distances en  Cisjordanie, séparant le frère de son frère. Mais cela n’a pas écarté le danger de la guerre entre Israël et les Palestiniens. Les Israéliens n’ont pas compris que leur sécurité et leur stabilité ne sont pas garanties par la force et les armes.
       Nous, les pasteurs d’Orient et d’Occident, sommes appelés à diffuser le langage du dialogue dans la société, afin de participer efficacement au remplacement de la logique de la guerre.
       C’est le devoir des chrétiens et des musulmans. Il faut réunir des congrès et des sommets entre chrétiens, nusulmans et juifs pour affermir les forces de la rencontre et vaincre les forces
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de division, d’esprit partisan, de recroquevillement, de peur, de haine, d’inimitié, d’exclusion de l’autre, quand ce n’est pas pour le tuer, le subjuguer, prendre son argent, détruire ses maisons, ses usines, ses lieux de culteet les vestiges de sa civilisation spirituelle.
       Nous participons à bon nombre de ces rencontres afin d’édifier la civilisation de l’amour, de la réconciliation et de la paix.
 
Le désir de Dieu à travers la mort
 
       Le chant de Siméon – “Maintenant, ô Maître souverain, Tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix” – est l’expression du désir que l’on trouve chez Saint Paul: “Je désire partir pour être avec le Christ” (Philippiens 1, 23), “car la vie pour moi c’est le Christ, et ce m’est un gain de mourir” (Philippiens 1, 21). C’est le sens du chant de Noël, chant de préparation à la mort, pour être avec le Christ.
       Chaque jour, dans la Divine Liturgie nous formulons ces deux invocations: “Demandons au Seigneur d’achever le reste de notre vie dans la paix et la pénitence”, et “Demandons au Seigneur une fin de vie chrétienne, sans douleur, sans honte, paisible, et une justification valable devant le redoutable tribunal du Christ”.
       Je voudrais appliquer le chant de Siméon et ces invocations à ma vie, surtout quand je regarde autour de moi. Je vois qu’un grand nombre de ceux de mon âge, dans ma famille, dans mon Ordre religieux, mon Eglise, mon Patriarcat, parmi mes amis de diverses nationalités, responsabilités et dignités, m’ont devancé à la rencontre du Seigneur dans la vie éternelle.
       C’est pour cela que cette prière sort de mes lèvres et de mon cœur, comme Siméon, plus que jamais, et je la répète à la fin de la Divine Liturgie quotidienne, avec désir, abandon à la volonté de Dieu, confiance et ardeur. Nunc dimittis! “Maintenant, ô
 
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 Maître souverain, Tu peux...” Avec Saint Jean, je crie comme à la fin de l’Apocalypse: “Maran ata! Viens, Seigneur Jésus!”
(Apocalypse 22, 20).
       Le chant de Siméon résume la spiritualité du temps, de la durée, de l’attente des vierges qui vont accueillir l’Epoux ai milieu de la nuit. C’est cette spiritualité que nous trouvons dans le cœur de nos prières liturgiques des heures, dans la prière de minuit (qui a disparu même dans nos monastères), dans le Paraclitique, dans les Ménées. C’est une spiritualité qui nous fortifie devant les difficultés de la vie et nous met en état de continuelle préparation pour recevoir l’Epoux, comme nous le voyons dans les prières de la grande Semaine Sainte. “Voici que l’Epoux vient à minuit. Heureux le serviteur qu’il trouve éveillé!”.
       Veiller! C’est la devise de mon patriarcat. Veiller est le programme de ma vie ici-bas, et de ma préparation pour la vie d’en-haut. Comme sont belles nos prières, surtout celles du Grand Mardi, qui sont des prières si ardentes pour la rencontre avec le Seigneur Jèsus! En voici quelques extraits:
       “Frères, brûlond d’amour pour la rencontre de l’Epoux, tenons nos lampes allumées; que brille d’éclat de nos vertus et que resplendisse la vraie foi! Comme les vierges sages du Seigneur préparons-nous à entrer dans la salle du festin, car à tous le divin Epoux nous offre la couronne d’immortalité” (Cathisme de l’Orthros du Mardi Saint).
       “Pauvre âme, pourquoi cette indolence et l’obsession de vains soucis? Pourquoi t’occupes-tu de ce qui passe et diparaît? Voici la dernière heure et nous devrons nous séparer des choses d’ici-bas; réveille-toi, puisqu’il est temps encore, et crie su Sauveur: Contre Toi j’ai péché, ne m’arrache pas comme le stérile figuier; fais-moi grâce dans ta miséricorde, Seigneur, et vois mon effroi; ne nous ferme pas les portes de la chambre du Christ!” (Ikos de l’Orthros du Mardi Saint).
 
 
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       “Ta chambre, je la vois, ô mon Sauveur, toute illuminée, et je n’ai pas l’habit nuptial pour y entrer et jouir de ta clarté: illumine le vêtement de mon âme et sauve-moi, Seigneur, sauve-
moi” (Exapostilaire de l’Orthros du Mardi Saint).
       “Mon âme indolente est tombée dans le sommeil et je n’ai pas acquis, ô Christ, mon Epoux, la lampe qui brille du feu des vertus; vierge folle je suis devenu, car au temps du labeur j’ai folâtré; ô Maître, ne me ferme pas ton amour et ton cœur, mais dissipe mon sommeil ténébreux, réveille-moi pour me faire entrer avec les vierges sages dans to palais, là où le chœur des Justes fait retentir sa pure voix et te chante: Seigneur, gloire à Toi!” (Laudes du Mardi Saint).
       “Venez, fidèles, travaillons avec zèle pour le Seigneur, car Il confie sa richesse à ses serviteurs; et de la grâce que chacun multiplie le talent! Que l’on procure la sagesse en faisant le bien, que l’autre assure le service de l’illuminer, que le fidèle partage la science avec les non-initiés, qu’un autre partage son bien avec les indigents! Ainsi nous ferons fructifier le trésor en dépôt, et de la grâce nous serons les fidèles intendants, devenant dignes de la joie du Seigneur: ô Christ notre Dieu, veuille nous l’accorder, dans ta bonté pour les hommes” (Apostiches de l’Orthros du Mardi Saint).
       “Voici que le Seigneur te confie son talent: ô mon âme, reçois avec crainte ce don; fais-le fructifier pour Celui qui te l’a donné, aux pauvres distribue-le et tu auras le Seigneur pour ami; afin d’être à sa droite lorsqu’en sa gloire Il reviendra et d’entendre sa bienheureuse voix te dire: C’est bien, mon serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur. Malgré mon égarement, Sauveur, rends-moi digne de cette joie” (Apostiches de l’Orthros du Mardi Saint).
 
Souhaits de la Fête: souhais de rencontre
 
          A vous tous et toutes, mes chers, j’offre mes vœux pour cette Fête de l’Incarnation divine dans la Fête de Noël, Fête de
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 la Rencontre, de l’amitié, de l’enrichissement mutuel, du respect, de la compassion, de la miséricorde et de l’amour.
       Nous vous invitons à multiplier les différentes sortes de rencontres dans vos milieux, surtout les familles, à vous rencontrer dans les repas, la prière, les réunions d’amitié, l’allégresse. Sinon, nos familles deviendront des îles, chacun devant son ordinateur ou son téléphone portable ou son twiter. Ainsi on est en contact avec ce qui est très loin et on délaisse ce qui est tout proche. Nos familles ont besoin de se rencontrer continuellement. Nos enfants ont besoin de l’amour de leurs parents, de les rencontrer. Tout comme les parents ont besoin de l’amour de leurs enfants.
       “Maintenant, ô Maître souverain, Tu peux laisser to serviteur s’en aller en paix”. C’est le grand désir de Dieu, qui devient une rencontre. Siméon nous invite à cette rencontre. Il a longuement attendu, avec patience, pour voir le Salut de Dieu. Saint Paul nous partte de la longue et douloureuse attente en  disant: “Aionsi la création attend-elle avec impatience cette révélation des enfants de Dieu” (Romains 8, 19).
       Notre monde arabe est dans l’attente, en grande attente de la naissance d’un monde nouveau, surtout en Syrie, au Liban, en Irak et en Palestine, dans l’attente de voir la fin des années de guerre, de douleurs, de souffrances, d’endurcissement, de tuerie, de mort et destruction
 
Le chemin de la croix et de la prière
 
       Nous recourons à la prière pour que se réalise le salut et finisse le chemin de croix de notre souffrance. Nous avons pour cela réalisé une initiative de prières durant 30 jours, chaque jour dans une église différente de toutes les communautés chrétiennes de Damas, du 22 septembre au 22 octobre. Ensuite, nous avons lancé un appel à la prière dans la famille, demandant à chacune d’elles d’allumer un cierge chaque soir et de se réunir pour la prière pour la paix en Syrie, avec une lecture spirituelle dans l’Evangile. En cela, nous répondons à l’appel du Pape
François, nous demandant de ne pas laisser la flamme de l’espoir s’éteindre dans nos cœurs.
 
Notre lettre: rencontre avec vous tous
 
       Nous aimons, à travers cette lettre, nous rencontrer avec nos frères bien-aimés les Métropolites, Archevêques et Evêques, membres de notre Saint-Synode, avec nos chers frères et nos chers fils les prêtres, avec nos sœurs et nos filles les religieuses vénérées, les chers diacres, et avec tous les fidèles de nos éparchies et de nos paroisses, dans le territoire patriarcal, en Syrie, au Liban, en Jordanie, en Palestine (surtout à Beit Sahour et à Bethléem), en Irak, en Egypte, au Soudan, au Koweit et dans le reste des pays arabes, où nos enfants travaillent et excellent dans leurs sociétés, avec leur dextérité, leurs diplômes, leur présence et leur rôle.
       A travers cette lettre nous rencontrons nos éparchies, nos communautés et nos fidèles dans les pays d’émugration, au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, au Vénézuéla, au Brésil, en Argentine, en  Australie et en Nouvelle-Zélande. De même avec les fidèles de la diaspora des autres pays d’Amérique Latine, où nous n’avons pas encore de hiérarchie ecclésiastique organisée, malgré notre désir, mais où nos fidèles sont nombreux.
       Nous rencontrons de même, au moyen de cette lettre, nos fidèles dispersés en Europe, surtout dans le cadre des paroisses organisées à Marseille, Paris, Bruxelles, Londres, Stockholm, et les fidèles en Italie, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Autriche...
       J’ai pu visiter beaucoup de ces paroisses, proches et lointaines. Pour tous et toutes j’implore l’abondance des grâces du Sauveur, afin qu’ils demeurent forts dans la foi. Et je leur souhaite de pouvoir, comme Siméon, rencontrer le Seigneur dans leur vie, avec un grand désir, avec espérance, amour et confiance.
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       A tous et partout, je souhaite d’accroître dans leur vie le potentiel de la rencontre, afin de porter aux autres la joie de l’Evangile et de les aider à rencontrer, à leur tour, le Christ Jésus. Ainsi l’Enfant Nouveau-Né, Dieu d’avant les siècles, sera pour chacun une Lumière qui éclaire son cœur, comme dit Saint Pierre dans sa seconde Epître, jusqu’à ce “que  l’étoile du matin se lève dans vos cœurs” (2 Pierre 1, 19).
       “Maintenant, ô Maître souverain, Tu peux...”. C’est la flamme de l’espoir, de l’amour, de la passion, du bonheur et de la joie. Nous prions pour tous et toutes, afin qu’ils rencontrent le Seigneur et Sauveur dans leur vie. Nous les invitons à faire mémoire comme nous, tous les jours, de” Notre Dame Marie, Mère de Dieu, qui a offert son Fils au Temple, et de tous les Saints, confiant-nous, nous-mêmes, les uns aux autres et toute notre vie au Christ notre Dieu”.
       “Maintenant, ô Maître soiverain, Tu peux...”. A la fin de la Divine Liturgie et des Vêpres, tous les jours nous répétons cette prière, attendant quotidiennement la venue de Dieu dans notre vie ici-bas, pour nous conduire à la vie éternelle, y rencontrer le Seigneur et être toujours avec Lui.
       Joyeux Noël! Bonne et sainte année 2015!
       Avec mon affection, ma bénédiction et ma prière.
 
 
                                     + Gregorios III
                                     Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient,
                                     d’Alexandrie et de Jérusalem