Patriarche Youssef

Article de Fadi Noun sur : " L'Orient le Jour " au sujet du message de Noël 2007

24 12 2007


 

Le message de Noël du patriarche grec-catholique
La révolution culturelle qui attend encore le monde arabe


L'article de Fady NOUN
Orient-Le Jour du Lundi 24 décembre 2007

Ce n’est pas une petite invitation que le patriarche Grégoire III a lancée, dans son message de Noël, au monde arabe musulman, en lui demandant de s’ouvrir à l’idée d’un « partage de la Parole » avec le christianisme, de ne pas être effrayé par la mission chrétienne et de permettre à celle-ci de s’exprimer librement, sans prosélytisme, mais sans crainte.
Notons d’abord que c’est en Arabe, en Arabe chrétien, que Grégoire III lance son invitation. Il n’est pas indifférent de le souligner. L’Église melkite, sous l’impulsion de son patriarche, a clairement et fortement revendiqué son identité arabe, depuis quelques années, dans la fidélité à une solide ligne théologique et historique. À travers cette identité, le monde arabe chrétien se trouve des affinités claires avec le monde arabe musulman et la foi musulmane, qui est une foi arabophone, du fait du caractère sacré du Coran.
Grégoire III est donc un Arabe qui parle à d’autres Arabes. Il se pose sur le plan d’une civilisation arabe totalisante qui n’est ni musulmane ni chrétienne, mais une synthèse des deux cultures, sans oublier les apports fondamentaux, épistémologiques, scientifiques ou idéologiques, de l’ouverture à la modernité qui ont marqué le monde arabe, durant les deux derniers siècles. C’est en prophète de l’avenir du monde arabe qu’il parle, audacieusement certes, avec des mots candides mais déterminants.
Il parle en fait dans le sillage de cet ouvrage fondamental du père Corbon qu’est « l’Église des Arabes », anticipant l’émergence d’une nation arabe dont l’avenir, il est vrai, apparaît aujourd’hui aléatoire sur le plan politique, mais dont certains contours commencent à se dessiner sous l’impulsion de divers agents de changement économiques, linguistiques, politiques, culturels. Sinon, que signifie l’existence d’une Ligue arabe ?
L’importance de l’invitation lancée par Grégoire III réside aussi dans le principe de réciprocité qu’il invoque. Ce principe est fondamental dans tout dialogue interreligieux, pour autant qu’il soit sincèrement et sérieusement engagé. (N’oublions pas, en effet, que dans l’islam, du fait de la non-séparation du religieux et du politique, tout dialogue interreligieux, pour peu qu’il soit sincère, débouche nécessairement sur du concret politique).
Le principe de réciprocité, c’est tout simplement accorder à l’autre, là où je suis en position dominante, le droit que je revendique pour moi-même, là où je ne le suis pas. C’est à dessein que Grégoire III évoque, sur ce plan, l’ostracisme dont est victime la foi chrétienne en Arabie saoudite où les bâtiments d’église sont interdits, ainsi que la célébration du culte chrétien. Jean-Paul II avait déjà invoqué ce principe, lors de l’inauguration de la mosquée de Rome.
L’appel de Grégoire III reste respectueux de la foi musulmane. Le « partage de la Parole » auquel il invite n’est pas, pour le patriarche, un choc de prosélytismes, même si le risque existe qu’il en soit l’occasion. Ce partage est d’abord un instrument de compréhension réciproque qui marque le degré de « civilité » auquel une société peut parvenir, sa capacité de résister aux chocs culturels, d’être exposée à l’altérité sans être menacée dans son identité.
Enfin, il y a dans l’invitation de Grégoire III un enjeu fondamental pour le monde arabe musulman, celui du passage de la lettre de la religion à son esprit, qui est l’une des clés de l’accession à la modernité, comprise au sens épistémologique du terme.
Le passage de la lettre à l’esprit, c’est l’effort – difficile en apparence – que le Christ a demandé à ses coreligionnaires, et qui se résume dans l’une de ses paroles : « C’est l’amour que je demande, et non les sacrifices. »
Dans les évangiles et les lettres apostoliques, on voit ce principe à l’œuvre sur tous les plans : respect des commandements à l’égard des parents, à l’égard du sabbat, interdits alimentaires, ablutions avant les repas, paiement de la dîme, fréquentation des non-juifs, les exemples abondent ou le Christ, puis les Apôtres, surtout saint Paul, aident les juifs de leur temps à dépasser la lettre des rites et commandements, pour en atteindre le sens véritable, cette religion du cœur que va couronner la révélation définitive de la vérité, à savoir que Dieu est Amour.
Il s’agit là d’une mutation qui fait passer la foi de l’enfance à la maturité, par un passage paradoxal par la raison, qui est libération de la lettre et intériorisation du commandement. Passage par la raison qui justifie ce que nous disions de cette démarche, à savoir qu’elle est l’une des clés de la modernité, qui est essentiellement triomphe de la rationalité dans les domaines qui lui sont propres, c’est-à-dire d’une rationalité qui n’est pas tyrannie de la raison.
Ce passage, qui s’effectue aujourd’hui sous la pression des événements, de la vie quotidienne, du brassage spontané des populations et des religions, l’islam est invité à en prendre le risque volontairement. Il n’y a là, bien entendu, aucun positivisme. L’Occident n’est pas l’avenir de l’Orient. Il faut tirer au plus vite les leçons de la modernité telle que l’Europe, par exemple, la vit en ce moment : une modernité marquée par une dichotomie mortelle entre foi et raison, qui a entraîné le naufrage de la rationalité dans le nihilisme.
Bien au contraire, le monde arabe semble mieux placé que l’Occident pour surmonter la tentation de l’antinomie entre foi et raison et envisager entre ces deux démarches « une complémentarité sans confusion », selon l’expression d’un philosophe contemporain.
Voici, en quelques brefs paragraphes qui demandent développement, le sens du message de Noël de Grégoire III. Un message qui rend à la fête de la Nativité du Verbe toute son importance spirituelle. Ce n’est rien moins qu’une invitation à une révolution culturelle à l’échelle de toute une civilisation. C’est immense et vital. C’est l’avenir de tout le monde arabe qui se joue là, et c’est certainement l’un des plus féconds appels qui puissent lui être lancés.


 

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