Patriarche Youssef

Lettre de Sa Béatitude le Patriarche Gregorios III pour le saint et grand Carême 2015

17 2 2015

  
 
 
Lettre de Sa Béatitude
le Patriarche Gregorios III
pour le saint et grand Carême 2015
 
 
 
De Gregorios, serviteur du Christ,
par la grâce de Dieu
Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem,
à mes frères les Hiérarques,
membres du Saint-Synode,
et à tous nos fils et toutes nos filles en Jésus-Christ,
clergé et peuple,
“bien-aimés, appelés à être saints,
grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus-Christ”
(Romains 1, 7).
 
 
“Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis”(Luc 18,13)
 
       Cette expression est un cri de l’âme, du corps et de l’esprit: sentiments que nous exprimons des centaines de fois dans nos prières liturgiques, spécialement pendant la période du Carême, ce grand et saint don du Carême. Dans ce cri, il y a une grande part de spontanéité et de profondeur de sentiment, mais peut-être aussi de superficialité, d’hypocrisie, de tiédeur et d’ostentation. Selon les normes traditionnelles de notre rite, ce cri très succinct est lié à un mouvement physique, de sorte que tout le corps y participe: les mains, les genoux, l’inclination du buste ou la prostration, quand la personne qui prie touche le sol avec ses mains, son front, sa bouche ou ses lèvres, ou peut-être se frappe la poitrine en signe de repentir, élevant les yeux vers le ciel en supplication pour demander pardon, se repentir, soupirer et même souffrir. Tout cela est résumé dans l’expression spirituelle: “Mon Dieu, sois propice au pécheur que je suis et aie pitié de moi”. Cette expression est une introduction à la pénitence pendant la période du Grand Carême, alors que nous chantons, au commencement du temps de Carême, dans le Triodion, ce tropaire de l’Orthros: “Ouvre-moi les portes de la pénitence, Seigneur source de vie, dans ton saint temple veille mon esprit, portant le temple très impur de mon corps”. Dans ces expressions, nous trouvons une progression spirituelle intérieure, avec un mouvement du corps vers le temple et le Saint des Saints, l’Eglise, un mouvement du corps et de l’esprit ensemble.
 
Pénitence dans les prières et offices liturgiques
 
     Dans cette lettre pour le Carême 2015, je voudrais m’adresser à mes chers frères et mes chères sœurs avec un langage et des textes de spiritualité, de joie, de sentiment, avec la hauteur, la profondeur et la beauté des très anciennes et saintes prières liturgiques. Elles forment notre héritage aimable, ancien et riche, le patrimoine venant de nos parents, nos grands-parents et nos ancêtres, des saints Pères. Ce patrimoine date d’il y a 1.200 ans. Peut-être avons-nous besoin de nous réconcilier avec cet héritage, que nous n’aimons pas et n’estimons pas suffisamment. De fait, parfois nous détestons cet héritage, nous lui sommes hostiles, parce que nous ne le connaissons pas. Comme dit le proverbe, “les gens sont hostiles aux choses qu’ils ne comprennent pas”.
       Le repentir, la haine et le refus du péché, l’éloignement et le coût du péché, la demande d’aide pour surmonter le péché sont les plus fortes caractéristiques de nos prières liturgiques. Je voudrais expliquer les bases du repentir, qui sont une réalité à trouver là et qui comprennent des éléments de joyeuse tristesse, de larmes purificatrices, de profonds espoirs de salut, de recherche continuelle d’une plus grande perfection, de pureté, d’innocence, de transparence et de clarté, d’élévation et de sainteté. Je voudrais expliquer tout cela en me référant à des passages de nos prières, et ainsi me cacher, car je suis un pécheur, derrière les textes de nos saints Pères.
       Dans le Psaume 50/51, qui est le psaume de pénitence par excellence, le Prophète et Roi David exprimait son repentir pour deux péchés, de meurtre et d’adultère: “O Dieu, aie pitié de moi, dans ta bonté, selon la grandeur de ta miséricorde”. Nous récitons ce psaume quatre fois dans nos offices liturgiques quotidiens. Il est utile que les versets de ce psaume deviennent notre nourriture spirituelle naturelle et quotidienne, car chacun de ces versets est une expression existencielle de pénitence et de demande de renouveau par le Saint-Esprit. Il est vraiment très souhaitable que chaque chrétien fasse de ce psaume une prière continuelle: qu’il l’apprenne par cœur.
          Les neuf odes scripturaires que nous disons dans l’office de l’Orthros pendant la période du Grand Carême sont une description  du progrès du peuple de l’Ancien Testament, son expérience de fidélité au testament/alliance avec Dieu, ainsi que son expérience d’infidélité à cette alliance, de péché et d’éloignement de Dieu, de sa très grande miséricorde et de sa ferme fidélité envers nous, malgré le péché de l’être humain.
       Peut-être certains – membres du clergé, dévoués religieux et religieuses, fidèles en général – sont-ils scandalisés par certaines expressions dures que nous trouvons dans quelques psaumes, odes et livres de l’Ancien Testament où, par exemple, il y a un appel à la destruction des ennemis et des pécheurs. En fait, nos ennemis réels sont les péchés, et non pas des êtres humains, et Saint Paul nous appelle toujours à la lutte spirituelle (jihad), à la guerre spirituelle, spécialement pendant le temps du Carême, lorsqu’il écrit: “Tenez toujours en main le bouclier de la foi, ... Prenez aussi le casque du salut et le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu” (Ephésiens 6, 16-17).
       Nous avons fourni une explication détaillée de la spiritualité des neuf odes de l’Orthros dans le grand livre du Triodion et du canon du Paraclitique que nous disons pendant l’office de l’Orthros (voir les livres liturgiques de l’Eglise Grecque-Melkite Catholique). Je crois utile de reproduire ici la dernière partie de cette explication, dont je considére qu’elle est une synthèse de nos prières liturgiques et de la spiritualité du saint temps du Carême. En fait, nous découvrons trois dimensions spirituelles du Paraclitique:
       1. La dimension d’ascèse ou de lutte. Les chants sont une répétition de l’appel à la lutte spirituelle, à la pénitence, à la componction du cœur et à la pratique des commandements du Seigneur. En fait, les plaisirs de ce monde paraissent doux, mais ils portent toujours à la dépression et à la tiédeur. Au contraire, la fidélité et la dévotion aux commandements de Dieu sont la voie qui conduit l’homme à la félicité.
       2. La dimension mystique, qui se révèle dans les sentiments et les sensations, dans la nostalgie et le désir de Dieu. Ces sentiments entrent dans le cœur de la personne qui prie et lui permettent de partager la compagnie des anges et des saints qui vivent la liturgie céleste en une célébration continuelle.
       3. La dimension eschatologique est le but et le sommet de la prière. En fait, la personne fidèle qui prie est dans l’attente permanente de l’Epoux et vit dans la préparation de la rencontre avec le Seigneur, comme les Vierges Sages. Il est vraiment conduit de la vie terrestre à la vie éternelle avec le Seigneur Jésus qui illumine ses yeux et emplit sa vie de lumière.
     Ces considérations scripturaires, théologiques et ascétiques renforcent l’importance du livre du Paraclitique, qui est réellement le compagnon de la personne qui prie, du fidèle qui prie tout au long de l’année: ce sont les hymnes des huit tons que l’on répète toutes les huit semaines, d’une fête de Pâques à l’autre. Ce livre est vraiment une école théologique et spirituelle d’ascèse et de sagesse, qui parle à l’être humain toujours et partout.
       La Première Heure, ou Prime, montre avec ses psaumes que nous devons éviter la condition du péché et ne pas cohabiter avec les méchants, et dit que Dieu connait les secrets de nos cœurs, que nos jours sont passagers et éphémères et que nous devons apprendre la voie de la sagesse, de la perfection et de la sainteté pour nous préparer à la vie éternelle.
       La Troisième Heure, ou Tierce, nous dirige vers le repentir, spécialement au moyen du Psaume 50/51, fondamental, auquel nous avons fait allusion ci-dessus.
       Sexte est caractérisée par le Psaume 90/91, également fondamental, qui est connu, selon le vocabulaire de nos ancêtres dans la foi, comme le psaume de l’habitant d’après son premier verset, ou le psaume de la Divine Providence. La spiritualité de cette heure est l’accompagnement de la Passion du Christ, car nous disons, pendant cette heure du Carême: “Le sixième jour et à la sixième heure, sur la croix Tu as cloué l’antique péché d’Adam; déchire aussi la cédule de nos péchés, ô Christ notre Dieu, et sauve-nous”. Dans la prière finale de cette sixième heure, Saint Basile exprime ses plus profonds sentiments en une très belle prière existentielle, pleine de sentiments de repentir et d’attachement au Christ, de désir de s’éloigner du péché et de la nostalgie du regard posé sur le Christ qui souffre sur la Croix. Nous disons notre gratitude dans cette prière: “Protège-nous contre toute chute funeste et ténébreuse et contre tous ceux qui cherchent à nous nuire, nos ennemis visibles et invisibles. Perce notre chair des clous de ta crainte et n’incline pas nos cœurs vers des paroles ou des pensées perverses, mais blesse nos âmes de ton désir, afin que, levant toujours les yeux vers Toi, (...) nous t’adressions une louange et une action de grâces incessantes”.
       Dans la neuvième heure, None, nous voyons des expressions de pénitence et de repentir, de volonté de changement personnel et de présence avec le Seigneur dans son temple. C’est un désir de joie, une danse spirituelle immatérielle et un complet abandon au Seigneur. Nous lisons dans le psaume 83/84, fondamental pour cette heure: “Qu’aimables sont tes demeures, ô Seigneur des armées. Mon âme languit et défaille à désirer les parvis du Seigneur. Mon cœur et ma chair tressaillent vers le Dieu vivant. (...) Bienheureux ceux qui habitent ta demeure et Te louent à jamais. (...) Oui, un jour passé dans tes parvis en vaut plus que mille. (...) Car Il est notre soleil et notre bouclier, le Seigneur qui donne la grâce et la gloire, Il ne refuse aucun bien à qui marche dans l’innocence”. Ainsi, le repentir conduit à la vie avec le Seigneur,  au don total à Lui, au désir de se fier à Lui et au très grand espoir de salut. Nous trouvons de très belles expressions de pénitence, liées à la confiance et au désir d’une nouvelle vie, dans la prière finale, par saint Basile. En fait, nous nous imaginons être le larron crucifié en même temps que Jésus, demandant son pardon, tournant notre regard vers Lui, confessant avec des sentiments de componction et de confiance: “Maître et Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, (...) sauve-nous par l’amour de ton saint Nom, car nos jours se sont écoulés vainement. Arrache-nous à la main de l’adversaire, efface nos péchés, mortifie nos charnelles pensées, afin que, dépouillés du vieil homme, nous revêtions le nouveau et vivions pour Toi, notre Maître et défenseur, et que, dans l’accomplissement de tes préceptes, nous parvenions à l’éternel repos, là où tous les justes demeurent dans ta joie. Car Tu es en vérité la joie et l’allégresse de ceux qui t’aiment, Christ notre Dieu”.
       Ce sont là de vraiment belles expressions de véritable repentir, de gratitude et de joie dans le salut au moyen du repentir.
       Des expressions de repentir sont également répétées dans l’office des Vêpres, ainsi que dans les Petites Complies, et spécialement dans les Grandes Complies, qui sont spéciales pour le Grand Carême. Les Grandes Complies sont un office très populaire parmi les fidèles et connu par la prière “O Seigneur des Puissances”. Nous y trouvons des hymnes de repentir bien connues et impressionnantes, qui mettent des larmes dans les yeux des fidèles: “Aie pitié de nous, ô Dieu, aie pitié de nous, qui avons confiance en Toi, et ne l’irrite pas contre nous”. Et aussi cette invocation: “Ouvre-nous la porte de ta compassion, bienheureuse Mère de Dieu”.
       Nous y trouvons un appel au repentir, avec des éléments d’expression de repentir et un désir de s’approcher de Dieu. Il en est de même pour les demandes (aiteses) de la Divine Liturgie, des Vêpres et de l’Orthros, lorsque nous demandons au Seigneur d’achever “le reste de notre vie dans la paix et la pénitence” et “une fin de vie  chrétienne, sans douleur,  sans honte, paisible”. Nous trouvons aussi des expressions de pénitence qui sont répétées dans les prières à voix basse au début des Vêpres et de l’Orthros. Une des plus belles prières de l’Office de Minuit, et qui est répétée plusieurs fois, est celle-ci:
       “Christ notre Dieu, Toi qui es adoré et glorifié en tout temps et à toute heure, au ciel et sur la terre, le longanime, le riche en pitié, le très-miséricordieux, qui aimes les justes et as pitié des pécheurs, qui appelles tous les hommes au salut par la promesse des biens à venir, agrée, ô Seigneur, nos supplications maintenant, et dirige nos vies selon tes commandements. Sanctifie nos âmes, rends chastes nos corps, redresse nos raisonnements, purifie nos pensées et délivre-nous de toute tribulation, de tout mal et de toute douleur. Entoure-nous de tes saints Anges comme d’un rempart, de sorte que, guidés par leur renfort et sous leur conduite, nous parvenions à l’unité de la foi et à la connaissance de ta gloire inaccessible; car Tu es béni pour les siècles des siècles”.
     Le repentir est lié à la mort, au Jugement Dernier, à la comparution devant le Tribunal du Christ, à l’attente de l’Epoux, comme cela est dit dans l’Office de Minuit avec ce premier verset du Psaume 118/119, qui est un psaume d’amour et d’ardeur pour la Parole de Dieu, une ardeur qui éloigne la crainte: “Heureux ceux qui sont parfaits en leurs voies, qui suivent la Loi du Seigneur”.
       Remarquable aussi est cette belle prière de Saint Basile:
       “Remets-nous les péchés que nous avons commis en action, en parole et en pensée, consciemment ou par inadvertance, purifie-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit et fais de nous des temples de ton Saint Esprit. Accorde-nous de passer toute nuit de la vie présente dans la vigilance du cœur et la sobriété de l’esprit, attendant la venue du jour lumineux et resplendissant de ton Fils unique”.
       La prière liturgique quotidienne est la garantie du repentir permanent, qui est le repentir d’une façon naturelle, de sorte que le repentir devient une partie naturelle de notre vie quotidienne.
       Dans ce qui suit, j’aimerais me référer aux offices inspirés de la Grande et Sainte Semaine, à leurs beaux appels spirituels au repentir, comme voie vers Jésus et pour être avec Jésus.
 
La beauté du repentir et de la pureté
 
       “Ta chambre, je la vois, ô mon Sauveur, toute illuminée, et je n’ai pas l’habit nuptial pour y entrer et jouir de ta clarté: illumine le vêtement de mon âme et sauve-moi, Seigneur, sauve-moi” (Exapostilaire de l’Orthros du Mardi Saint).  
 
Le figuier stérile et notre relation avec le Royaume du Christ
 
       “Contre Toi j’ai péché, ne m’arrache pas comme le stérile figuier; fais-moi grâce dans ta miséricorde, Seigneur, et vois mon effroi: ne nous ferme pas les portes de la chambre du Christ” (Ikos du Mardi Saint).
 
Le repentir comme amitié avec le Seigneur
 
       “Epoux dont la grâce surpasse toute humaine beauté, Toi qui nous invites au spirituel festin de ton palais, dépouille-moi du grossier vêtement de mon péché, en me faisant participer à ta Passion; revêts-moi du glorieux ornement de ta beauté et, dans ta miséricorde, accueille-moi comme un convive lumineux au banquet de ton royaume” (Apostiche de l’Orthros du Mardi Saint).
 
Mercredi, jour de repentir par excellence
 
     “Plus que la courtisane, Dieu très bon, j’ai péché, et sur Toi je n’ai pas versé mes larmes à flots; mais, dans le silence, je me prosterne en priant, baisant avec amour tes pieds immaculés; ô Maître, veuille m’accorder, je t’en supplie, pour mes fautes le pardon, Sauveur, délivre-moi du bourbier de mes péchés” (Kondakion du Mercredi Saint).
       “L’une est ennoblie par le repentir, l’autre est avili par sa lâcheté; Sauveur qui as souffert pour nous, accorde-moi le repentir et sauve-moi” (Laudes du Mercredi Saint).
 
       Le repentir et le retour au Paradiset à la beauté de l’image de Dieu en nous, c’est ce que nous entendons pendant l’Office des Funérailles, lorsque nous disons adieu à nos chers défunts avec ces belles paroles de foi:
       “Je suis l’icône de ta gloire ineffable, bien que je porte la marque du péché; de ta créature, Seigneur, aie pitié, purifie-moi, dans ta bonté; accorde-moi la céleste patrie et donne-moi de retourner au Paradis”.
       “Jadis Tu m’as tiré du néant pour me former à l’image de Dieu, mais j’ai violé ta loi et Tu m’as fait retourner à la glaise dont Tu m’avais créé; vers ta ressemblance fais-moi revenir maintenant et restaure ma première beauté”.
       Ici, il est montré clairement que ces appels au repentir et ces prières ne sont pas, contrairement à ce que quelques-uns pensent,  un terrain pour la frustration ou le désespoir. Au contraire, ce sont des causes de joie, d’espérance et de conscience d’une nouvelle force spirituelle, qui peuvent toujours nous aider dans les affaires de la vie de chaque jour et nous donner succès, optimisme et une vue positive de la vie: telle est mon expérience personnelle. Par le repentir et la confession, j’ai découvert une nouvelle dimension de ma vie et j’ai acquis force, résolution et détermination, et cela m’a ouvert une nouvelle perspective de ma vie.
       Tous les saints ont excellé dans le repentir et ont été sanctifiés par des actes de repentir. Ils recommandent le repentir. Le repentir est la voie vers la sainteté.
 
La Prière de Jésus
 
       Nous recommandons, pour les jours de Carême, de suivre l’ancienne pratique orientale, ascétique, patristique et monastique de la Prière de Jésus. C’est une prière de pénitence par excellence, qui aide à développer la vie spirituelle personnelle. Les mots de la Prière de Jésus sont simples et brefs. Ils sont: “Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur”. Ces mots sont faciles à dire et à comprendre, que l’on peut répéter n’importe quand et n’importe où: en conduisant une voiture, en faisant le ménage, en lavant des vêtements, ou en accomplissant n’importe quelle autre tâche ou activité quotidienne. Celui qui progresse dans la pratique de cette prière acquiert intérieurement une “source jaillissant pour la vie éternelle” (Jean 4, 14). Au début de la pratique, la première condition est d’apprendre à se libérer de la distraction. Il faut commencer par répéter la prière cent fois puis augmenter le nombre progressivement. Pour faciliter le compte, les moines et les autres fidèles utilisent la corde de la Prière de Jésus. Le nombre des nœuds de laine ou de soie varie de 20 à 30, ou de 100 à 300. La Prière de Jésus peut être synchronisée avec une respiration profonde et des mouvements du corps, tels que l’inclinaison ou la prostration. De cette façon, le corps tout entier participe à la prière, qui pénètre lentement toutes les parties de notre être, et c’est pourquoi elle est appelée “prière du cœur”.[1]
 
      
 
La voie du Carême est un chemin de pénitence
 
       L’Eglise nous prépare à la voie du Carême et au repentir à travers les quatre dimanches qui précèdent le Carême: d’abord le dimanche du Pharisien et du Publicain, où nous trouvons la prière du Publicain, dont nous avons fait le titre de cette lettre, “Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis” (Luc 18, 13); deuxièmement le dimanche de l’Enfant Prodigue et du père miséricordieux; troisièmement le dimanche du Carnaval ou du Jugement Dernier, et finalement le samedi des Ascètes, suivi du dimanche de la Tyrophagie, avant le commencement du Grand Carême. Ainsi le Grand Carême est vraiment une voie de pénitence par excellence. C’est un temps saint et sanctifiant, un temps pour progresser réellement vers la sainteté.
 
Éducation au repentir
 
       Nos prières liturgiques sont une école permanente de repentir. Il est important que les Evêques et les prêtres aiment guider les fidèles vers les voies de pénitence, de sorte que les prêtres deviennent des pères spirituels et des directeurs de conscience pour leurs paroisses. C’est là l’une des sortes de relation les meilleures, les plus belles et les plus hautes entre les prêtres et les fils et filles de leurs paroisses: c’est pourquoi nous devrions travailler dans deux zones différentes mais complémentaires, la confession sacramentelle et la direction spirituelle. C’est pourquoi il est important de trouver la meilleure façon de faciliter la confession pour les fidèles. D’autre part, les prêtres doivent trouver le temps d’écouter les confessions des fidèles et de les diriger spirituellement, ce qui peut se faire pendant les offices de Carême et la célébration de la Divine Liturgie, et aussi en réservant un temps spécial pour entendre les confessions à des heures déterminées, affichées à la porte de l’église.
 
Le Sacrement de la Pénitence et la confession
 
       Ici je voudrais donner quelques orientations pratiques pour la voie de la pénitence, spécialement pour les jours de Carême et pour notre vie chrétienne en général.
       1 Chaque fois que vous sentez que votre conscience est alourdie par le péché, allez voir votre père spirituel et confessez-vous devant le Dieu de miséricorde.
       2 Confessez-vous spécialement avant la Sainte Communion.
       3 Chaque péché requiert un sincère repentir.
       4 Vous avez besoin d’un père spirituel qui vous aide dans votre pénitence, entende votre confession sincère et puisse vous donner une orientation afin que vous accomplissiez la volonté de Dieu et avanciez sur la voie de la sainteté.
       5 Vous devriez de préférence pratiquer la voie de la pénitence et de la confession en dehors de la Liturgie et vous adresser au prêtre ou à votre père spirituel spécialement pour la confession et la direction spirituelle.
      6 La pénitence et la confession sont le sacrement de la communauté, car vous appartenez à une Eglise qui est, comme nous disons dans le Credo, “sainte”.
      7 La pénitence et la confession sont le sacrement de sainteté, de progrès spirituel et de perfection chrétienne. Jésus-Christ nous a appelés à cela quand Il a dit: “Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait” (Matthieu 5, 48).
       8  Soyez toujours en contact avec votre père spirituel, qui accompagne le chemin de votre vie chrétienne. Soyez sincère avec lui, ayez confiance en lui et obéissez-lui. La confession de vos péchés et de votre faiblesse n’est pas un signe d’humiliation et d’abaissement, mais le signe ou l’évidence d’une âme qui cherche toujours le mieux et aspire à la transfiguration de sa vie chrétienne.
 
Le Carême, temps de pénitence par excellence
 
       Chers frères, chères sœurs, chers fils et chères filles, la période de jeûne est un temps propice, un temps de salut. C’est là la meilleure présentation et description de la période bénie du Carême. Laissons là les œuvres d’obscurité et revêtons l’armure de la lumière! Nous sommes tous pécheurs; nous avons tous besoin de la pénitence, du salut et d’une vie exempte de péchés, de passions et de tout ce qui nous asservit, nourriture et boisson, vêtements, plaisir, envie, colère, haine, amertume, dispute, orgueil, obstination, racontars, calomnie, indiscrétion, superficialité, hédonisme. Qui pèche n’est pas libre, mais est l’esclave du péché. Le temps du Carême est un temps de sainteté, de prière et de libération du péché, du mal et de la corruption. Appliquons-nous à pratiquer le jeûne corporel et spirituel à la fois. Jeûner, c’est s’abstenir de nourriture et de boisson dans la mesure du possible (bien que, en fait, nous jeûnions souvent à cause de la situation actuelle, de la hausse des prix, de la pauvreté et de la faim, des déplacements et du fait d’être sans maison). Pratiquons aussi le jeûne du péché et adonnons-nous à la prière, à la méditation et à la lecture spirituelle; approchons-nous du sacrement de la pénitence et de la Sainte Communion. Veuille notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ accepter notre jeûne et notre pénitence!
 
Les pratiques de jeûne et de repentir
 
       Chers amis, je m’adresse à vous tous pour vous appeler à progresser dans les pratiques de la vie spirituelle chrétienne plus profondément pendant ces jours-ci, et je voudrais vous donner quelques éléments pour cette progression.
       1. Prière personnelle profonde à la maison et à l’église, par exemple avec la prière “O Seigneur des Puissances” et l’Acathiste à la Mère de Dieu.
       2. Pratique du jeûne et de l’abstinence selon les possibilités de chacun.
       3. Pratique de mortifications spirituelles et corporelles de toutes sortes.
       4. Une vie de charité chrétienne dans les relations sociales.
       5.  Recourir aux sacrements de l’Eglise.
       6. Aumône et bonnes œuvres, selon les possibilités et les circonstances de chaque personne.
       Si nous faisons tout cela, notre jeûne sera agréable et acceptable, nous sanctifierons les jours du Carême, nous nous transformerons à la lumière de l’Evangile du Christ et nous rendrons témoignage de Jésus dans notre société.
       Chers frères, chères sœurs, dans votre pénitence, “sanctifiez-vous car demain le Seigneur fera au milieu de vous des merveilles” (Josué 3, 5). Aussi, tenez-vous en toujours à la proclamation des Prophètes qui ont prêché le repentir; ainsi prêcha aussi Saint Jean-Baptiste, qui fut le grand prédicateur du repentir: “Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche” (Matthieu 3, 2). Et Jésus commença sa prédication avec les mêmes mots:” “Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche” (Matthieu 4, 17).
       Il y a là un programme en trois phases que nous pouvons cueillir dans le jardin des prières de l’Eglise: un programme splendide, ayant des parties interdépendantes et des finalités harmonieuses, c’est-à-dire: jeûne, prière et repentir. Le jeûne incite à la prière, la prière est la voie qui mène au repentir, et le repentir est réellement la substance et l’essence de la prière et du jeûne. Si vous priez, vous vivifiez votre jeûne par la prière orale et mentale et la méditation. Priez dans les profondeurs de votre âme et de votre conscience, découvrant vos faiblesses, étant humble devant Dieu, ayant confiance en Lui et demandant sans cesse son pardon. Si vous vous repentez et retournez à Dieu, et si vous vous êtes réconcilié avec votre prochain, vous aurez ainsi atteint le but de la prière et du jeûne et, purifié par les bonnes œuvres, vous serez prêts pour célébrer spirituellement et réellement la Pâque du Seigneur et sa glorieuse Résurrection.
 
“Quant à cette espèce-là, elle ne s’en va que par la prière et le jeûne”(Matthieu 17, 21)
 
       Ce jeûne est celui du Grand Carême avant la Résurrection: un jeûne qui prépare les fidèles pour célébrer la glorieuse Fête de la Résurrection. Le Carême est un chemin de croix, et nous sommes dans la cinquième année de ce chemin de croix des pays arabes, spécialement en Syrie, en Irak et en Palestine, mais aussi au Liban, lequel est dramatiquement influencé par les guerres qui ont éclaté dans ses alentours. Aujourd’hui, le Liban a reçu en plusieurs vagues et héberge des réfugiés et des personnes déplacées de Palestine depuis 1949, d’Irak plusieurs fois depuis 2003 et de Syrie depuis 2011. Le Golgotha de nos pays est la plus grande tragédie des pays de la région et même du monde depuis la Seconde Guerre Mondiale. En tant qu’Evêques, notre rôle est d’être avec notre peuple, en compagnie de notre peuple, à son avant-garde et son arrière-garde, à son service. Nous voulons laver les pieds de ceux qui souffrent, comme Jésus a lavé ceux de ses disciples. Et nous demandons pardon à nos fidèles de ce que, malgré nos efforts, nous ne sommes vraiment pas en mesure de répondre à tous leurs besoins, qui augmentent de jour en jour. Nous sommes désemparés devant la grande peine et la grande souffrance de notre peuple dans toutes les communautés chrétiennes et musulmanes. Cela est une tragédie et une souffrance d’échelle globale, qui affecte tout le monde.  Tous ont été affectés par la pauvreté, la faim, le froid, le manque de vêtements, la maladie, les souffrances et les handicaps. Dans leur grande majorité, nos fidèles souffrent de tout cela, spécialement en Syrie. Tous sont égaux, maintenant, devant cette sorte de souffrance. Comme nous l’avons dit, c’est là le cas de tous les pays arabes, spécialement la Syrie, l’Irak, la Palestine et le Liban, mais aussi la Libye, l’Egypte et le Yémen.
 
La flamme de l’espérance
 
       Nous nous adressons à nos enfants et à tous nos concitoyens, comme nous l’avons fait dans nos lettres antérieures, comme l’a dit notre Saint Père le Pape François: “Ne laissez pas  la flamme de l’espérance s’éteindre dans vos cœurs”. Nous avons lancé l’initiative de “la flamme de l’espérance pour la paix en Syrie” au moment de Noël. De nouveau, nous demandons à tous d’allumer cette flamme chaque jours dans leurs maisons et leurs cœurs, dans leurs âmes et dans leurs sentiments. Dieu veuille que ce soit une flamme réellement inextinguible (malgré le manque occasionnel d’électricité, de gaz ou de mazout) qui illumine le chemin de tous les citoyens.
 
Émigration
 
       Nous notons avec une grande tristesse que beaucoup de nos fidèles partent, d’une façon ou d’une autre, légalement ou non. Combien d’histoires avons-nous entendu de leur souffrance dans cette fuite! Quelques-uns partent et quittent le pays pour de bonnes raisons, tandis que d’autres le font sans aucune raison urgente. Nous invitons tous à rester, à être patients et forts, à espérer toujours et à s’accrocher à l’espérance, à la foi et à la confiance en la volonté de Dieu. Nous ne pouvons jamais obliger personne à rester; il s’agit d’une décision personnelle, de la responsabilité de chaque personne ou famille.
       Mais, en tant que pasteurs, nous restons avec tous ceux qui restent, pour les servir avec tout notre cœur et toute notre force. Nous nous efforçons continuellement pour aider tous et chacun, avec tous les moyens dont nous disposons, sur les plans de la communication, du voyage, de la correspondance, des informations, des congrès, etc. Nous remercions tous ceux qui nous aident dans cette tâche difficile, sur le plan local et international, civil ou religieux, qu’il s’agisse d’institutions chrétiennes ou  musulmanes, catholiques, orthodoxes, anglicanes, luthériennes et autres.
 
Le Pape François nous parle dans nos difficultés
 
       Nous remercions Sa Sainteté le Pape François, spécialement, pour ses prières, sa préoccupation, ses appels, ses discours et aussi pour son assistance matérielle à travers les dicastères romains et les diverses organisations reliées au Saint-Siège Apostolique de Rome. En particulier, nous voudrions le remercier pour la lettre spéciale qu’il a adressée aux chrétiens du Moyen-Orient à l’occasion de la fête de la Nativité et du Nouvel An civil, et nous nous plaisons à citer ici de très beaux passages, significatifs pour nous et pour tous nos concitoyens:
       “Au milieu des inimitiés et des conflits, la communion vécue entre vous en fraternité et simplicité est signe du Royaume de Dieu. Je suis heureux des bonnes relations et de la collaboration entre les Patriarches des Eglises Orientales catholiques et ceux des Eglises Orthodoxes; comme aussi entre les fidèles des diverses Eglises. Les souffrances endurées par les chrétiens apportent une contribution inestimable à la cause de l’unité. C’est l’œcuménisme du sang, qui demande un abandon confiant à l’action de l’Esprit Saint.
       “Puissiez-vous toujours rendre témoignage à Jésus à travers les difficultés! Votre présence même est précieuse pour le Moyen-Orient. Vous êtes un petit troupeau, mais avec une grande responsabilité en cette terre, où est né et où s’est répandu le christianisme. Vous êtes comme le levain dans la pâte. Avant même beaucoup d’œuvres de l’Eglise dans les domaines éducatifs, sanitaire ou d’assistance, appréciées par tous, la richesse la plus grande pour la région, ce sont les chrétiens, c’est vous. Merci de votre persévérance!
       “Votre effort pour collaborer avec des personnes d’autres religions, avec les juifs et avec les musulmans, est un autre signe du Royaume de Dieu. Le dialogue interreligieux est d’autant plus nécessaire que la situation est plus difficile. Il n’y a pas d’autre voie. Le dialogue fondé sur une attitude d’ouverture, dans la vérité et dans l’amour, est aussi le meilleur antidote à la tentation du fondamentalisme religieux, qui est une menace pour les croyants de toutes les religions. Le dialogue est en même temps un service à la justice et une condition nécessaire pour la paix tant désirée.
       “La plupart d’entre vous vit dans un milieu à majorité musulmane. Vous pouvez aider vos concitoyens musulmans à présenter avec discernement une image plus authentique de l’Islam, comme le veulent beaucoup d’entre eux, lesquels répètent que l’Islam est une religion de paix qui peut s’accommoder du respect des droits humains et favoriser la cohabitation entre tous. Ce sera un bien pour eux et pour la société tout entière. La situation dramatique que vivent nos frères chrétiens en Irak, mais aussi les yazidis et les membres d’autres communautés religieuses et ethniques, exige une prise de position claire et courageuse de la part de tous les responsables religieux, pour condamner de façon unanime et sans aucune ambigüité ces crimes et dénoncer la pratique d’invoquer la religion pour les justifier.
       “Bien-aimés, presque tous, vous êtes des citoyens natifs de vos pays et vous avez pour cela le devoir et le droit de participer pleinement à la vie et à la croissance de votre nation. Dans la région, vous êtes appelés à être artisans de paix, de réconciliation et de développement, à promouvoir le dialogue, à construire des ponts, selon l’esprit des Béatitudes (cf. Matthieu 5, 3-12), à proclamer l’Evangile de la paix, ouverts à une collaboration avec toutes les autorités nationales et internationales.
       (...)
       “Bien-aimés, même si vous êtes peu numériquement, vous êtes protagonistes de la vie de l’Eglise et des pays dans lesquels vous vivez. Toute l’Eglise vous est proche et vous soutient, avec grande affection et estime pour vos communautés et votre mission. Nous continuerons à vous aider par la prière et avec les autres moyens disponibles.
       (...)
       Chères sœurs et chers frères chrétiens du Moyen-Orient, vous avez une grande responsabilité et vous n’êtes pas seuls à l’affronter. C’est pourquoi  j’ai voulu vous écrire pour vous encourager et pour vous dire combien votre présence et votre mission sont précieuses en cette terre bénie par le Seigneur. Votre témoignage me fait beaucoup de bien. Merci! Chaque jour, je prie pour vous et à vos intentions. Je vous remercie parce que je sais que, dans vos souffrances, vous priez pour moi et pour mon service de l’Eglise. J’espère beaucoup avoir la grâce de venir personnellement vous visiter et vous réconforter. Que la Vierge Marie, la Toute Sainte Mère de Dieu et notre Mère, vous accompagne et vous protège toujours par sa tendresse” (Lettre de Sa Sainteté le Pape François aux chrétiens du Moyen-Orient, 21 décembre 2014: w2.vatican.va/content/francesco/fr/letters.2014/documents/papa-francesco_20141221_lettera-cristiani-medio-oriente.html).
       Nous sommes reconnaissants aussi pour les appels qui sont venus de sources non chrétiennes et demandant aux chrétiens de ne pas émigrer, en disant qu’un Moyen-Orient vide de sa présence chrétienne et privé du rôle et de la mission des chrétiens n’aurait pas de sens. Nous avons entendu de tels appels de sources musulmanes, spécialement de l’Université al-Azhar, du Président de la République Arabe d’Egypte, Abdel Fattah el-Sisi, et d’autres.
 
La souffrance, une école de foi
 
       Nous disons tout cela dans l’espoir de renforcer la foi de nos enfants. D’ailleurs, nous entendons le témoignage de beaucoup de nos fidèles, qui nous parlent de leur foi, leur fermeté et leur conscience de la protection de Dieu, qui  garde et préserve tous les citoyens de beaucoup de désastres. Nous, les Evêques, avons le sentiment que la foi de nos fidèles est un enseignement pour nous.
       Nous remercions Dieu de tout cela, et nous nous réjouissons aussi du retour de quelques fidèles et quelques citoyens à leurs villes et villages, comme par exemple à Maaloula, à Qussayr, quelques secteurs de la province de Homs et ailleurs. Nous sommes heureux aussi de voir et d’apprendre qu’il y a de nouveaux chantiers ouverts pour commencer la reconstruction des maisons et des églises à Maaloula, Nabek, Homs et Yabroud. Et pour les compensations accordées par le gouvernement, et d’autres aides provenant de nos fidèles. Nous remercions aussi toutes les institutions internationales et nos amis qui nous aident pour cela.
 
Conversations de paix
 
       Nous sommes heureux aussi de noter une augmentation des conversations de paix, et des demandes d’opinion, qui ont eu lieu récemment à Moscou entre des représentants du gouvernement et quelques groupes de l’opposition, en janvier 2015, qui nous ont donné un regain d’espoir. Nous espérons que d’autres groupes de l’opposition seront encouragés à prendre part à ces conversations, sans crainte ou hésitation, et qu’ils seront plus ouverts, vraiment désireux de travailler ensemble afin de trouver une solution pacifique de la crise syrienne. Tout cela constitue des facteurs positifs, ce dont nous remercions Dieu, et nous espérons qu’ils augmenteront l’espoir et la sécurité parmi tous les citoyens.
       Sur un autre plan, nous demandons à tous de persévérer sur la voie du repentir, de la prière quotidienne à la maison et à l’église, dans les réunions des diverses activités pastorales, à genoux, demandant le pardon de Dieu, en élevant les mains et en demandant, avec cette prière d’Isaïe : “O Seigneur, notre Dieu, donne-nous la paix comme Tu nous a donné toute chose” (16, 12). Et Jésus Lui-même nous parle en disant, comme Il le fit à ses disciples: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix” (Jean 14, 27). Et aussi: “Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la consommation des temps” (Matthieu 28, 20). Dans nos offices liturgiques, spécialement pendant le Carême, nous chantons avec beaucoup d’espoir: “Seigneur des Puissances, sois avec nous: Toi seul, au milieu des dangers, Tu peux nous secourir et nous aider. Seigneur des Puissances, aie pitié de nous” (Grandes Complies).
       Ici, je voudrais citer quelques versets des prophéties d’Isaïe, dans lesquels nous trouvons une grande consolation et une grande force, dont nous avons grand besoin: “Moi, le Seigneur, je t’ai nommé dans ma justice, te prenant par la main et te gardant, faisant de toi l’Alliance des hommes, la lumière des nations, afin d’ouvrir les yeux des aveugles, afin de faire sortir de prison les captifs, de leur détention les habitants des ténèbres. Je suis le Seigneur, tel est mon Nom. Je ne laisserai pas ma gloire à d’autres, ni aux idoles la louange qui me revient” (Isaïe 42, 6-8). “Ne crains rien, car je t’ai racheté. Je t’ai donné ton nom: tu es à moi. Dois-tu traverser les eaux, je suis avec toi, les fleuves ne t’engloutiront pas. Dois-tu passer par le feu, tu ne seras pas brûlé, la flamme ne te dévorera pas. (...) Car tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur, et moi je t’aime. (...) Ne crains rien, car je suis avec toi. (...) Tous ceux qui sont appelés de mon Nom, que j’ai créés pour ma gloire, que j’ai formés, que j’ai faits” (Isaïe, 42, 1a-2, 4a, 5a, 7).
 
Le jeûne comme morale sociale
 
       L’Eglise, pendant la période du Carême, nous met en garde et nous avertit à l’encontre des péchés d’injustice et d’exploitation, qui sont nombreux aujourd’hui, à cause du chaos et du manque de relations sociales. En fait, nous faisons l’expérience du vol et de l’exploitation, spécialement avec les prix des denrées dans les commerces et les articles de base.
       Le Saint Père François a fait allusion à ces maux sociaux dans son message pour la Journée Mondiale de la Paix 2015 au commencement de la Nouvelle Année civile, sous le titre “Non plus esclaves, mais frères”. Là nous pouvons trouver des orientations au sujet des péchés contemporains qui sont plus graves que d’autres péchés, qui peuvent être qualifiés de péchés sociaux. Voici quelques passages de ce message:
       “Aujourd’hui, comme hier, à la racine de l’esclavage, il y a une conception de la personne humaine qui admet la possibilité de la traiter comme un objet. Quand le péché corrompt le cœur de l’homme, et l’éloigne de son Créateur et de ses semblables, ces derniers ne sont plus perçus comme des êtres d’égale dignité, comme frères et sœurs en humanité, mais sont vus comme des objets. La personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, par la force, par la tromperie ou encore par la contrainte physique ou psychologique, est privée de sa liberté, commercialisée, réduite à être la propriété de quelqu’un, elle est traitée comme un moyen et non comme une fin.
       (...)
       “De même, la corruption de ceux qui sont prêts à tout pour s’enrichir doit être comptée parmi les causes de l’esclavage. En effet, l’asservissement et le trafic des personnes humaines requièrent une complicité qui souvent passe par la corruption des intermédiaires, de certains membres des forces de l’ordre ou d’autres acteurs de l’Etat ou de diverses institutions, civiles et militaires.
       (...)
       “Je lance un appel pressant à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté, et à tous ceux qui, de près ou de loin, y compris aux plus hauts niveaux des institutions, sont témoins du fléau de l’esclavage contemporain, à ne pas se rendre complices de ce mal, à ne pas détourner le regard face aux souffrances de leurs frères et sœurs en humanité, privés de la liberté et de la dignité, mais à avoir le courage de toucher la chair souffrante du Christ (cf. Exhortation Apostolique Evangelii gaudium, numéros 24 et 270), qui se rend visible à travers les innombrables visages de ceux que Lui-même appelle ‘ces plus petits de mes frères’ (Matthieu 25, 40 et 45).
       “Nous savons que Dieu  demandera à chacun de nous: Qu’as tu fait de ton frère? (cf. Genèse 4, 9-10). La mondialisation de l’indifférence, qui aujourd’hui pèse sur les vies de beaucoup de sœurs et de frères, requiert que nous nous fassions tous les artisans d’une mondialisation de la solidarité et de la fraternité, qui puisse leur redonner l’espérance, et leur faire reprendre avec courage le chemin à  travers les problèmes de notre temps et les perspectives nouvelles qu’il apporte et que Dieu met entre nos mains”.[2]
 
Dimensions régionale et globale
 
       Ce sont là les péchés sociaux que nous voyons croître dans nos sociétés, spécialement nos sociétés arabes et dans la situation de crise de notre monde arabe. De fait, nous voyons cela tous les jours de nos propres yeux; nous avons l’impression d’être entrés dans une période de loi de la jungle: exploitation et extorsions, brutalités sociales, corruption, manipulation des prix, marché noir; et nous voyons – hélas! – que même la crise syrienne est devenue un marché de denrées pour le commerce local, régional et mondial. Malheureusement, nous voyons ces maux qui envahissent notre société à cause de la guerre et de ses terribles conséquences. Chaque jour, nous voyons la douleur et la souffrance augmenter chez tous les citoyens: pauvreté, faim et maladies.
       L’Eglise nous rappelle tout cela au début du Carême, lorsque nous lisons: “Frères, jeûnons corporellement, jeûnons aussi en esprit, délions toute chaîne d’iniquité, brisons les liens de nos violentes passions, déchirons tout injuste contrat, donnons aux pauvres du pain et recevons les sans-logis, afin d’obtenir du Christ notre Dieu la grâce du salut” (Lucernaire des Vêpres du mercredi de la première semaine de Carême).
 
Appel au repentir
 
       La belle prière de la Liturgie des Présanctifiés nous y appelle:
       “Dieu grand et digne de louanges, qui, par la mort vivifiante de ton Christ, nous as fait passer de la corruption à l’incorruptibilité, libère tous nos sens des passions qui tuent et donne-leur pour bon guide la raison intérieure; que l’œil s’abstienne de tout regard mauvais, que l’oreille soit inaccessible aux paroles oiseuses, que la langue se nettoie de tout discours inconvenant. Purifie nos lèvres qui te louent, Seigneur; fais que nos mains s’abstiennent de toute œuvre perverse et n’accomplissent que celles qui Te plaisent. Affermis tous nos membres et notre entendement par ta grâce”.
       L’Apôtre Saint Paul nous y appelle aussi:
       “Mortifiez donc vos membres terrestres: fornication, impureté, passions, mauvais désirs, ainsi que la cupidité, cette idolâtrie; tout cela attire la colère de Dieu. Et c’est bien ainsi que vous-mêmes vous vous êtes conduits naguère, quand vous viviez dans ces désordres. Mais à présent, vous aussi, rejetez tout cela: colère, animosité, malice, injure, vilains propos doivent être bannis de vos lèvres. Ne vous mentez pas les uns aux autres, puisque vous avez dépouillé le vieil homme avec ses pratiques et revêtu l’homme nouveau qui, pour mieux connaître, se renouvelle sans cesse à l’image de Celui qui l’a créé” (Colossiens 3, 5-10).
       Et encore:
       “Comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, revêtez donc des sentiments de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si vous avez entre vous quelque sujet de plainte.  Comme le Seigneur vous a pardonnés, vous aussi, pardonnez. Par-dessus tout revêtez la charité qui est le lien de la perfection. Et que la paix du Christ règne en vos cœurs,  cette paix à laquelle vous avez été appelés en un seul corps. Montrez-vous reconnaissants” (Colossiens 3, 12-15).
 
Conclusion
 
       A chacun nous souhaitons un Carême béni et sanctifiant, pour nous aider à poursuivre le chemin de croix de nos pays et de leurs citoyens, qui, nous l’espérons, mènera notre cher Proche-Orient et ses fidèles vers les joies de la Résurrection.
       Pour vous tous, un Carême saint et béni!
       Avec ma Bénédiction Apostolique et mon amour.
 
 
                                       + Gregorios III, Patriarche
 


[1]Voir le chapitre 5 du livre Introduction to Liturgical Services and their Symbolism in the Eastern Church, par l’Archevêque Lutfi Laham, publié par Eastern Christian Publications.
[2]Message du Pape François pour la Journée Mondiale de la Paix 1er janvier 2015: http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/messages/peace/documents/papa-francesco_20141208_messaggio-xlviii-giornata-mondiale-pace-2015.html.