Patriarche Youssef

Sermon de Sa Béatitude pour le jubilé d'or du Carmel de la Mère de Dieu et de l'Unité.

24 8 2012



Sermon de Sa Béatitude
pour le jubilé d'or du Carmel
de la Mère de Dieu et de l'Unité.
Harissa, le 24 août 2012


 
 
Très révérende mère supérieur, chères sœurs du Carmel de la Mère de Dieu et de l'Unité,
Votre Excellence et cher révérend frère, Archevêque Cyrille Salim Bustros, métropolite de Beyrouth pour les grecs-melkites catholiques et supérieur ecclésiastique des carmélites,
Vos excellences, chers archevêques,
Révérend Père Élias Aghia, supérieur général de la Société Missionnaire des Pères Paulistes, parrains du carmel,
Révérende mère Nicola Herro, supérieur générale des sœurs de Notre Dame du Perpétuel Secours, marraines du carmel
Chers frères et sœurs,
 
« Le Seigneur est Dieu et il nous est apparu ; célébrons cette fête, réjouissons-nous et magnifions le Christ (…) Élevons nos voix vers lui avec des hymnes, disant : Béni est celui qui vient au nom du Seigneur, notre Sauveur »
 
Le dimanche des Rameaux, l'Église accueille le Seigneur Jésus-Christ avec cet hymne1.
 
Et c'est avec cet hymne que nous accueillons le jubilé d'or de la fondation du Carmel de la Mère de Dieu et de l'Unité, dans cet endroit merveilleux de notre cher Liban, qui est considéré comme une oasis abritant une floraison de patriarcats, monastères, couvents et sanctuaires marial universellement connu.
 
Ce couvent a été fondé le 24 août 1962, et nous sommes rassemblés pour célébrer son jubilé d'or. Toutefois, en Espagne, l'Ordre, dans ses branches masculine et féminine célèbre le jubilé de ses 450 ans depuis la fondation du Carmel San José à Ávila, le nom de cette province restant lié à celui de la grande sainte Thérèse, docteur de l'Église catholique.
 
Tout d'abord, je voudrais vous faire partager quelques idées tirées de la lettre de Sa Sainteté Benoît XVI à l'évêque d'Ávila, Mgr Jesùs Garcìa Burillo, à l'occasion du jubilé de la fondation du carmel à Ávila, où sainte Thérèse de Jésus a initié la réforme de l'ordre. La lettre du pape est datée du 16 juillet 2012, fête de Notre-Dame du Carmel.
Sa Sainteté nous montre tout d'abord Jésus s'adressant à Thérèse dans une vision, au cours de laquelle il l'encourage à entreprendre la réforme. Le Carmel de San José est voué à devenir une étoile rayonnant d'une grande splendeur « resplendens stella » (Libro de la vida [Autobiographie] 32, 11). Telle est la mission du Carmel et plus généralement des monastères contemplatifs. Comme l'a dit notre Seigneur Jésus-Christ : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville qui est sise au sommet d'un mont ne peut être cachée. Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5, 14-15). La maison ici signifie le Liban et le monde entier. Ce monastère florissant est la lumière du lampadaire et la ville sur cette montagne de Harissa.
 
Sa Sainteté le pape insiste sur les points suivants :
 
1- Le jubilé devrait illuminer les cœurs de ceux qu'il concerne (en Espagne ou ailleurs) et être une occasion de renouveau spirituel
 
2- Silence, contemplation et une vie vécue dans la prière sont les éléments de ce renouveau spirituel. Sainte Thérèse d'Ávila, dans son autobiographie, donne une définition de la prière comme « étant en amitié avec Dieu, conversant fréquemment en secret avec lui qui, nous le savons, nous aime ». (Libro de la Vida 8, 5).
 
3- Le carmel, selon Sainte Thérèse d'Ávila, est une forme de vie qui favorise la rencontre personnelle avec Dieu, pour qui « nous n'avons simplement qu'à trouver une place où nous pouvons être seul, le contempler présent en nous. Jamais nous ne pourrons nous sentir étrangers en présence d'un hôte si prévenant ». (Camino de perfección [Le chemin de la perfection] 28, 2).
 
4- Sainte Thérèse d'Ávila, le docteur spirituel, ajoute : « les amis de Dieu devraient être forts, afin qu'ils puissent porter les faibles ». (Libro de la Vida  15, 8).
 
5- Tel est le rôle des monastères contemplatifs comme celui-ci, les moniales, comme dit le Saint Père, « protègent par leur ferveur ceux qui proclament partout le Nom du Christ, afin qu'elles puissent prier pour les besoins de l'Église et apporter dans le sein du Seigneur le cri de tous »2 .
 
6- Sa Sainteté insiste à cette occasion sur « la nécessité pour les baptisés de renouveler leur cœur à travers la prière personnelle qui (…) est également centrée sur la contemplation de la très sainte humanité du Christ, seule voie pour trouver la gloire de Dieu ».(cf. Libro de la Vida, 22, 1; Las Moradas [Le château de l'âme] 6, 7).
 
7- Sa Sainteté souligne l'importance des activités visant à encourager les vocations à la prêtrise et à la « vie consacrée, qui est un trésor de l'Église et une source de dispensation de la grâce, que ce soit dans ses dimensions actives ou contemplatives ».3
 
Chers amis et chères sœurs célébrant ce jubilé,
 
Tandis que je préparais cette homélie, je lisais le livre d'or recueillant la mémoire de ce monastère, et j'aimerais partager avec vous quelque chose que j'y ai découvert. Mgr Philippe Nabaa de bienheureuse mémoire, Archevêque de Beyrouth, a présidé la cérémonie d'inauguration du carmel, accompagné par Mgr Georges Hakim, futur patriarche Maximos V et deux pères paulistes, les Révérends Pères Basile Breidi et Habib Bacha, en présence de la Révérende Mère Générale des religieuses du Perpétuel Secours. Dans son homélie, il a souligné le rôle de la providence divine, et les efforts entrepris pour aboutir à cette fondation, due à la persévérance de Mgr Paul Ashkar, alors qu'il était supérieur général de la Société des Pères Paulistes. L'idée lui en est venue, en effet, alors qu'il assistait, avec Mgr Joseph Maalouf, au congrès eucharistique international de Barcelone, en 1952. Il aura fallu dix années de lutte pour réaliser cette fondation, qui est également le fruit de la détermination des carmélites, en dépit de toutes les difficultés qui se sont élevées durant cette période. C'est aussi, dans une large mesure, le fruit des efforts de la part des congrégations romaines, en particulier de celles pour les Instituts de Vie Consacré et pour les Églises Orientales. C'est également le fruit du soutien de Sa Béatitude le Patriarche Maximos IV, qui avait pourtant commencé par y être opposé. C'est tout autant le fruit des donations et sacrifices des Pères Paulistes et des Sœurs de Notre-Dame du Perpétuel Secours, qui ont accompagné la fondation tout au long de son cheminement et continuent à le faire. Exprimons-leur notre gratitude au nom de l'Église, en mon nom propre et au nom des sœurs carmélites.
 
Bien évidemment, l'éparchie de Beyrouth a toujours veillé sur ce monastère, qui relève de sa juridiction.
 
Son Excellence Mgr Philippe Nabaa, de bienheureuse mémoire, expliquait dans le sermon auquel j'ai fait allusion les buts et la spiritualité de ce monastère contemplatif occidental au sein de l'Église grecque-catholique melkite. C'est la partie la plus importante de son homélie, et elle complète ce que disait le pape dans sa lettre à l'occasion du jubilé :
 
1- La présence de carmélites cloîtrées est un fait qui satisfait les besoins de notre Église. Nos congrégations féminines étaient auparavant contemplatives et cloîtrées, comme c'était également le cas dans l'Église maronite. Par la suite, elles sont devenues apostolique pour aller au-devant de besoins pastoraux, sociaux et éducatifs. L'Église leur est reconnaissante de cet apostolat.
 
2- Le carmel est une oasis de vie érémitique et contemplative dans notre Église, à travers la consécration à la prière, à la solitude et à la contemplation.
 
3- Le carmel étend ses mains en prière pour et au nom de ceux qui ne peuvent pas prier. Il intercède pour ceux qui sont durement battus par les flots et les exigences harassantes de cette vie. Frères et sœurs participant à ce jubilé, sachez que vous avez des intercesseurs, représentants et délégués en la personne des carmélites, et ce à travers la prière, le silence, la contemplation et la solitude.
 
4- Ce carmel porte deux noms : celui de Marie, Mère de Dieu, et celui « d'Unité ». C'est un endroit de prière et de sacrifice pour l'unité chrétienne, de façon à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur, afin que le monde croie. Tous les croyants sont appelés à rejoindre la prière des moniales, dans ce monastère comme dans l'autres, pour la communion, l'unité et le témoignage. Tel est l'axe sur lequel repose le synode de 2010 pour le Moyen-Orient, et à partir duquel Sa Sainteté le pape, durant sa visite à venir en septembre, va promulguer l'exhortation apostolique.
 
5- Ce carmel ressemble à la chambre haute où étaient réunis les apôtres autour de Marie, la mère de Jésus, et où le saint Esprit a été répandu sur chacun d'eux en langues de feu, appelant tous est chacun à l'unité et au courage afin de porter le message de Jésus et son saint évangile à notre société, déchirée par les crises, les guerres, les divisions, les haines et les rivalités, en particulier notre société arabe qui passe par des temps difficiles, peut-être encore jamais vus dans son histoire. Le Liban lui-même n'en est pas exempt.
En ce jubilé béni, nous voudrions remercier les carmélites espagnoles qui ont lutté pour réaliser leur rêve et le rêve de l'Église grecque-melkite catholique en installant le Carmel au Liban. Elles ont durement lutté, quittant leur pays, renonçant à leur tradition, à leur rite d'origine et à leur vie ordinaire. Elles ont appris à lire l'arabe et ont étudié le rite et le chant byzantins. Et Dieu sait quels efforts héroïques et épuisants cela demande !
 
6- Parmi les jours bénis, dans l'histoire de ce saint monastère, figure en bonne place le 11 mai 1997, lorsque le bienheureux pape Jean-Paul II y a passé dix minutes. Il a béni les moniales et les a encouragé à prier pour l'unité de l'Église, disant : « Je sais que vous vivez et que vous souffrez ici pour l'unité de l'Église. Et vous devez continuer ainsi, parce que le Liban est réellement un endroit crucial (…) Vous devez continuer dans cette direction. Que Dieu vous bénisse ».
 
Chers et bien-aimés fidèles,
 
Telle est l'histoire de ce monastère ! C'est sa mission que d'être au cœur du Liban et au sein de l'Église ! Les sœurs de ce couvent élèvent des mains suppliantes, priant nuit et jour – sept heures par jour, selon leur règle – pour que le foi chrétienne s'enracine, pour que les valeurs évangéliques se répandent et pour les intentions de chacun. Elles accomplissent la parole qui dit : « lorsqu'une âme s’élève, elle élève le monde ».
 
Notre prière liturgique nous invite à chanter, lors de la fête de la Transfiguration : « Réveillez-vous de la torpeur dont vous êtes accablés, ne restez pas toujours couchées sur le sol, pensées qui inclinez mon âme vers le bas. Élevez-vous vers le sommet de la divine ascension, avec Pierre et les deux fils de Zébédée [et avec les sœurs carmélites] ; empressons-nous de gravir le Mont Thabor afin de contempler nous aussi la gloire de notre Dieu [le sommet de la vie chrétienne] et d'écouter la voie céleste qu'ils ont eux-mêmes entendue... » 4. Et nous dirons avec Pierre : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici » (Mt 17, 4). Soyons chez nous, ici, dans l'Église, comme l'a demandé le Seigneur : « quand tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et alors ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 6). Telle est la vocation de ce couvent, et l'appel de Jésus : « venez dans un lieu désert, à l'écart, et reposez-vous un peu » (Mc 6, 31).
 
Voici le beau fruit savoureux que nous pouvons recueillir de ce jubilé du Carmel de la Mère de Dieu et de l'Unité : de réserver chaque jour un temps pour la prière, la contemplation, la méditation et la lecture spirituelle des saintes Écritures ; un temps de silence, devant les saintes icônes, qui devraient occuper un coin spécial dans nos maisons et familles.
 
Au nom des carmélites, je vous remercie de votre présence. Que les bénédictions surabondantes de Dieu, qu'elles soient temporelles ou spirituelles, se répandent sur nous, à travers l'intercession de la Mère de Dieu et toujours-vierge Marie, Dame du Liban et Reine de l'Unité. Et que la paix, la sécurité, l'unité, la charité et la fraternité reviennent comme le printemps dans nos pays arabes, et particulièrement notre cher Liban, avec toutes ses confessions et composantes, ainsi que la Syrie meurtrie, la Palestine, et tous ces pays souffrant, nous l'espérons, les douleurs de l'enfantement de l'homme nouveau, à l'image et à la ressemblance de Dieu.
 
Et je promet aux moniales si chères à nos cœur, à commencer par le mien, de poursuivre sur les traces de mes deux prédécesseurs, les patriarches Maximos IV et Maximos V, et des archevêques, en particulier Mgr Ashkar et Mgr Nabaa. Notre frère, l'archevêque de Beyrouth ainsi que les pères paulistes suivront également la même orientation en continuant de supporter la vocation de ce saint monastère.
 
Nous ne pouvons manquer de mentionner ici la mémoire de la bienheureuse carmélite Marie la petite arabe, ou Marie de Jésus crucifié, originaire d'Ibillin en Galilée, que le pape Jean-Paul II a béatifiée en 1983. Elle est la fille de l'Église grecque-melkite catholique. Elle est notre don au carmel de Pau, en France, ainsi qu'aux deux carmels qui ont été fondés en son nom et où reposent ses reliques, l'un en Inde et l'autre à Bethléem.
 
Nous nous réjouissons avec les moniales des nombreuses vocations à la vie cloîtrée qu’elles ont eues, ce qui les a amenées à fonder un autre carmel au Liban.
 
En avant, Carmel de la Mère de Dieu, Carmel de l'Unité ! Que ce jubilé soit béni !
Et je vous en souhaite beaucoup d'autres !
 
Avec mon amour, ma bénédiction et mes meilleurs vœux,
 
 
 
 
+ Gregorios III
Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient
d'Alexandrie et de Jérusalem
pour les grecs-catholiques melkites